All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Comme Lee KonitZ inventait des "Zounds", Daunik LaZro improvise des "Zongs", thèmes zébrures débordant largement le cadre de l'"Exercice en forme de Z" façon GinZburg pour atteindre au cœur même de la musique. A ce propos, le dramaturge politique Bertolt Brecht, autre grand manipulateur de sons et de mots, avouait préférer aux termes de musique et de théâtre ceux de müzak et de thaêtre, ces deux néologismes séparant de fait l'art de la culture et l'expression de l'institution. De la même manière Daunik, militant poétique, insiste, par le glissement phonétique du song traditionnel, à Broadway comme ailleurs, vers le zong plus iconoclaste, sur la singularité d'un travail élaboré en marge de l'establishment. Plus graffiti que real book, en somme !
D'ailleurs, lorsqu'en 2000 le saxophoniste sortit sur Emouvance le premier "Zongbook", nombreux furent ceux qui se demandèrent où ils allaient bien pouvoir ranger ce recueil de griffures intenses et de lignes brisées dont la structure semblait ne tenir en équilibre que par une volonté outrepassant les limites du rationnel. Il y avait bien une petite place à côté du "For alto" de Braxton, mais déjà le baryton dévorait à lui seul les trois quarts de l'espace… Alors ?… L'album se vit donc conférer un statut de monstre discographique digne de la plus grande écoute, bien sûr, mais à petites doses et, si possible, seul.
Onze ans ont donc passé avant que Daunik ne publie ces "Some other zongs" et la première pensée qui nous vienne à l'esprit, une fois digéré le choc de cette beauté vénéneuse distillée goutte-à-goutte dans notre oreille, tel le poison dans celle du père d'Hamlet, touche à cette pesanteur dont il semble avoir pris délibérément conscience. C'est désormais dans la gravité que s'expriment ces bribes de mélodie avortées qui s'effilochent et se recomposent au gré de l'humeur évolutive du souffleur. Aux angles aigus et autres éclairs zigzagants a succédé la ligne d'un sillon constant, creusé par le même soc dans la même terre sombre et granuleuse. Le baryton remue l'épaisseur de la matière, la partage, la retourne, y plante parfois la verticale d'un slap ou d'un cri traversant la colonne d'air, sème des embryons de thème sur lesquels il se plaît à revenir plus tard, quand rien ne peut plus y être relié. Puis il fouille plus loin encore et débusque, sous l'harmonie même, la racine d'un son enfoui là depuis la création. Après "Zongbook", Daunik Lazro s'est enfoncé de deux octaves dans les profondeurs de la musique.
Pourtant, ce n'est pas d'humeur noire dont il s'agit ici, ni de désespoir, ni de mélancolie. Nous sommes plus en présence d'une forme de robustesse écorchée, de certitude arrimée au sol, mais que blessent malgré tout les coups de griffe des oiseaux de malheur, des ignobles individus et du monde comme il va. Daunik est parvenu à faire totalement corps avec sa musique, sans doutes ni regrets, mais en toute lucidité. Aussi, lorsque le baryton hurle, gémit ou grasseye, c'est l'homme qu'on entend, dans ses rires et ses plaintes, ses fameux cris, encore, de colère et d'amour. Ces "Quelques autres zongs" commencent par le chant puis s'ébrouent au travers de trémolos urgents, de dérapages métalliques et de prises de bec à mains nues avant de s'éteindre dans l'énonciation posée de quelques pistes possibles. Mais s'il en est ainsi, c'est que le zinger lui-même a d'abord voulu chanter, s'est laissé emporter par l'inextinguible passion qui le caractérise et a fini par aborder les rives relativement paisibles d'une quiétude sensible où la résignation n'a pas plus de place que l'ambition ou la frustration.
"Some other zongs", où l'auto portrait d'un artiste à la maturité grave.
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