All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Le duo que forment le guitariste Scott Fields et le flûtiste Jeffrey Lependorf est à bien des égards fascinant. D’une part parce que l’association d’un musicien issu de la scène avant-gardiste de Chicago ayant évolué dans l’entourage des défricheurs de l’AACM et d’un compositeur touche à tout spécialiste du shakuhachi (flûte traditionnelle japonaise en bambou) est inattendue, et d’autre part parce que ces deux personnalités trouvent une drôle de manière de jouer ensemble, basée sur un contraste fort en terme d’approche musicale et de conception de l’improvisation.
Lependorf développe un jeu fait de phrases étendues en forme d’incantations dénuées d’aspérités mettant en exergue une tendance naturelle à faire jaillir de sa flûte des accents musicaux du pays dont elle est originaire. Comme la musique en elle-même n’a rien de « japonisante », cela se traduit par une jolie couleur de voix, un souffle serein et dépaysant sublimé par une impeccable prise de son. Aux antipodes de cette horizontalité et des ces progressions tranquilles, Scott Fields joue lui d’une manière beaucoup plus accidentée, avec un tout autre rapport au silence. La où le flûtiste empli l’espace de rubans mélodiques chauds et apaisants, le guitariste voit en ce volume un vaste champ d’expression propice à la mise en place d’un propos où se succèdent d’innombrable gestes musicaux alternés avec des intervalles laissés inexploités. Ses phrases sont plus courtes, plus incisives, avec des jeux de lumières harmoniques et des fulgurances étrangères aux à-plats de Lependorf. Tous deux cultivent avec le silence une relation privilégiée. L’un l’effleure et le cajole tandis que l’autre le bouscule et le sculpte en y disposant des éléments architecturaux, sans en altérer l’importance ou la beauté. Ils le manient avec précaution car ils connaissent sa valeur.
J’entretiens, à l’égard de ces rencontres en un sens déroutantes, une vraie fascination car la magie qui lie ces approches sur le papier difficilement conciliables reste pour moi un grand mystère. Il se trouve que Everything Is In The Instructions est un bel exemple de rencontre réussie. Aucun des deux musiciens ne tire la couverture à lui. Non pas que j’envisage l’hypothèse d’une quelconque volonté d’accaparer la musique de la part de l’un ou de l’autre, mais ce dialogue équilibré s’avère être une évidence puisque de leur complémentarité, les deux musiciens tirent le meilleur en proposant des compositions ou reprises (magnifique version du « Naima » de Coltrane) à la fois envoûtantes et sophistiquées, laissant à l’auditeur le libre choix de s’abandonner à une écoute détachée ou de parcourir ces structures faussement simples où se multiplient les passerelles entre écriture et improvisation.
L’alliance de la guitare acoustique aux cordes de nylon et du shakuhachi confère à cet enregistrement une sonorité organique qui est un parfait vecteur pour ces conversations intimistes. La plastique comme l’intention forcent le respect, et c’est en faisant fi de toute concession que les deux hommes trouvent la plus juste manière de s’enrichir mutuellement. Trouver avec ce parti prit une telle cohérence est une gageure. Au risque d’aller à l’encontre du titre, il me semble que ça, ce n’est pas écrit dans les livres.
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