All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Cette petite chronique pourrait vite ressembler à un foutoir si je n’y prenais garde. Parce que j’aimerais aujourd’hui dire deux ou trois mots au sujet de Never Mind The Future, disque enregistré par la contrebassiste Sarah Murcia, dûment entourée de son groupe Caroline augmenté de deux unités pour l’occasion, soit une belle brochette de musiciens iconoclastes pour une relecture assez inattendue de Never Mind The Bollocks, l’unique album des Sex Pistols dont la parution en 1977 avait quelque peu fait chavirer certaines âmes sensibles du côté de la perfide Albion.
Mais parler d’un tel disque, c’est aussi rappeler l’existence de ce valeureux label qu’est Ayler Records, dont j’ai déjà souligné tant la qualité du travail fourni par Stéphane Berland qui veille sur sa destinée avec un soin amoureux, que la diversité des couleurs d’une écurie qui peut, en quelques mois et trois références successives portant les numéros 147, 148 et 149, vous entraîner dans la nuit un peu glacée de l’Abbaye de Noirlac avec le Quatuor Machaut, histoire de vous donner à entendre une version pour quatre saxophones de la Messe de Notre Dame, chef d’œuvre du XIVe siècle signé Guillaume de Machaut, avant de vous entraîner du côté du Triton, aux Lilas, pour affronter la brûlure du guitariste Marc Ducret, dont le trio formé avec Bruno Chevillon et Eric Echampard se voit renforcé de trois soufflants ébouriffants que sont Fabrice Martinez (trompette), Christophe Monniot (saxophones) et Samuel Blaser (trombone) à l’occasion d’un Metatonal chauffé à blanc sur la pochette duquel les exégètes de la cause du rock progressif n’auront pas manqué de repérer un drôle de renard immortel à neuf queues déguisé en femme leur rappelant la pochette d’un vieux disque de Genesis, pendant que les amoureux de Bob Dylan comprendront vite qu’avec « 64 », composition célébrant l’année où Marc Ducret à découvert les titres de Mister Zimmerman, ils pourront retrouver, joyeusement intriqués dans un corps à corps sensuel, deux thèmes de leur héros, « The Times They Are A Changin’ » et « Wigwam ». Mine de rien, soit dit en passant, vous venez de lire une phrase comptant à elle-seule 1502 signes. Je vous en félicite...
Pour ne rien vous cacher, je n’ai jamais été fan des Sex Pistols ni de Johnny Rotten ou de Sid Vicious. Question d’âge ou de timing, je n’en sais rien. Mais en provenance des sinuosités – parfois boursouflées, je le concède – du rock progressif et d’un certain jazz rock, parfois d’inspiration kobaïenne, il m’était bien difficile de trouver un quelconque intérêt artistique à cette quarte d’hérétiques dont l’entreprise commerciale était par ailleurs bien prise en mains par un homme d’affaires avisé. Je n’avais pas beaucoup d’inclination pour ces punks hurlant sur deux ou trois accords dont il n’était pas bien surhumain de cerner les limites musicales.
Pas si simple toutefois... Car leur no future sonnait néanmoins comme un avertissement à la face d’un monde qui allait très vite être livré pieds et poings liés aux faucons de la finance internationale et à leur sabordage de nos économies, mené à grands coups de sabre, celui de la dérégulation psalmodiée comme une religion païenne. Peu de temps après, en 1979, la Grande Bretagne hissait au poste de premier ministre une Dame de Fer ayatollah d’un ultralibéralisme débridé et d’une incroyable violence sociale. Alors, oui, dans ma petite tête, les Sex Pistols et leur Never Mind The Bollocks (je ne sais pas trop comment vous traduire ce titre, disons pour faire simple : ne faites pas attention aux couilles), plus que les héros d’un courant musical, sont les porte-voix de cette sinistrose, vociférant une rage engendrée par la violence de la société occidentale et de son cancer social dont les métastases (ce qu’on appelle le chômage et aujourd’hui la précarité) se propageaient à une vitesse supersonique. Et continuent de ronger les corps par millions...
2016. Voilà donc qu’une jeune contrebassiste – je dis jeune parce que Sarah Murcia a 40 ans et qu’il va de soi qu’un(e) quadragénaire est pour moi une jeune personne – formée au CNR de Boulogne où elle a appris le piano et le violoncelle, capable d’accompagner des chanteurs (Charlélie Couture, Jacques Higelin) tout comme des improvisateurs, qui fut pendant de longues années membre du Magic Malik Orchestre et qui préside aux destinées de Caroline (avec Olivier Py au saxophone, Gilles Coronado à la guitare et Franck Vaillant à la batterie), se pique d’une idée saugrenue : enregistrer un disque reprenant, pas forcément dans l’ordre et en la parant d’autres couleurs, tous les titres de Never Mind The Bollocks, auxquels elle ajoute le planétaire « My Way » que les Sex Pistols avaient repris en leur temps. Partant du principe « plus y a de fous, plus on rigole », elle complète sa fine équipe en s’adjoignant les services de Benoît Delbecq au piano et de Marc Tomkins au chant. Sarah Murcia a mis dans son shaker toutes les chansons qui composent l’album original, elle a bien secoué l’ensemble pour le restituer dans l’ordre qui lui convenait. Résultat des courses : un disque où l’énervement punkoïde et les riffs abrasifs de la guitare électrique sont de mise (« God Save The Queen » et le cri du saxophone d’Olivie Py ou, plus tard, le monumental « Holidays in The Sun »), au même titre que la transformation radicale d’un « Anarchy In The UK » qui devient un pop song, avec la voix faussement ingénue de Sarah Murcia se posant sur les cordes du piano et de la contrebasse. Chaque titre ressemble à un jeu de re-création après un joyeux chamboule-tout, il faudrait les passer tous en revue. Ainsi « Bodies » et le duo engagé par la voix de Mark Tomkins (remarquable de présence de bout en en bout) et la guitare saturée de Gilles Coronado (petit feu d’artifice à lui tout seul). Ou la pulsion obsédante de « Pretty Vacant » qui évoque une course contre la montre inquiète. Toute la théâtralité du chant-diction de Mark Tomkins est concentrée dans le majestueux « New York », sorte de bref opéra rock enflammé par un saxophone ivre de liberté. Cette liberté dont s’empare Benoît Delbecq pour tournebouler un court « Liar » aux accents free jazz ; on retrouvera un peu plus tard le pianiste dans la pratique de cette même liberté lors de l’introduction d’un « My Way » chargé d’émotion. Le minimalisme de « E.M.I. » permet de savourer le chant conjugué de la voix de Sarah Murcia et de la guitare. « Problems » et « Submission », quant à eux, constituent une bonne occasion de se laisser gagner par le groove tenace de la contrebasse.
On le comprend : impossible de savoir a priori quel traitement sera réservé aux originaux. Never Mind The Future est une sorte de reflet déformé, mais moins infidèle qu’il n’y paraît, de Never Mind The Bollocks. Ce qui fascine peut-être le plus dans ce disque, au-delà de sa tentative réussie et presque ludique de déconstruction-reconstruction, c’est qu’il s’autorise à dépouiller la matrice d’une bonne partie de ses oripeaux pour la rhabiller d’autres vêtements, moins agressifs en apparence (encore qu’il soit question ici avant tout de rock), mais qui n’en expriment pas moins une force comparable à celle de l’original, scandale et vociférations en moins. Il y a là-dedans une joyeuse union des contraires en ce qu’il faut toute l’expérience de six musiciens accomplis pour extirper avec autant d’à-propos et de culot tous les sucs d’un disque, aujourd'hui entré dans l'histoire du rock, dont on pouvait légitimement penser faire le tour en quelques écoutes, avant de passer à autre chose. Sarah Murcia a parfaitement entendu l’essentiel – y compris la réelle dimension mélodique des chansons – et sa relecture imprévisible est des plus réjouissantes. Charnue à souhait, pleine de jus acidulé et des pépins qui vont avec.
J’en profite pour vous conseiller la lecture de la chronique écrite par mon camarade Franpi Barriaux sur CitizenJazz. Avec tout ça, si vous ne tendez pas l’oreille vers Never Mind The Future, je ne peux plus rien pour vous. Ah si, jetez un coup d’œil à la pochette : vous y verrez la drôle de grimace d’une enfant qui n’est autre que la fille de Sarah Murcia. Personnellement, je trouve qu’elle ressemble beaucoup au disque... Une sacrée bonne bouille !
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