All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Si le second album de Cécile Cappozzo, après le duo enregistré en compagnie de son illustre trompettiste de père, se réfère directement à l'Espagne, terre d'adoption de La Cecilia, par son visuel et son texte de pochette signé Garcia Lorca, sa musique s'inscrit ouvertement dans le lyrisme d'un free jazz tel que pouvait en user Keith Jarrett dans les années 60 et le sillage de Paul Bley. Sans aller parler pour autant de schizophrénie, on perçoit différentes facettes chez cette jeune femme baignée depuis l'enfance dans l'histoire du jazz et qui, par réflexe, besoin existentiel et fascination, s'est plongée à corps perdu dans l'étude du flamenco et de cette variante ibérique du blues qu'on nomme le duende, jusqu'à en devenir une enseignante reconnue des deux côtés des Pyrénées. Ajoutez à cela l'époque dogmatique à laquelle elle est apparue sur scène et en studio, velléitaire dans ses desseins avant-gardistes, mais chargée de méfiance envers toute tendance nostalgique, et vous envisagerez aisément le poids des contradictions auxquelles elle a dû faire face pour s'affirmer aujourd'hui, dans ce "Sub Rosa" notamment, en tant qu'héritière assumée de Carmen Amaya et Cecil Taylor.
Il y a en effet de cette ultime influence dans la liberté avec laquelle la pianiste s'affranchit du tempo et vole de ses propres ailes entre les barres de mesure. Et si le doigté ne vise pas la virtuosité de son glorieux précurseur, sa précision n'en est pas moins troublante, rappelant son amour inconditionnel pour Mal Waldron et, de nouveau, les dérapages hors piste de Jarrett au temps de Charlie Haden et Paul Motian. Les notes filent, insolentes et, semble-t-il, indépendantes de la rythmique, même si l'on perçoit une réelle interaction avec la contrebasse de Patrice Grente et la batterie d'Etienne Ziemniak. En cette occurrence, Cécile Cappozzo ne s'interdit rien, ni un regard dans le rétroviseur, ni de cheminer à côté du sentier, au risque de plonger, tel un toon étonné, au fond du précipice qui l'attend et l'attire à la fois, tant semble évident son plaisir à tutoyer le vide. La volubilité de son discours laisse également peu de temps à la réflexion. C'est à toute vitesse qu'elle tente sa chance, prend ses cliques et ses claques dans une fuite en avant fleurant l'urgence et l'impatience, sans toutefois sombrer dans les dangers d'une précipitation malvenue. Car il y a de la préméditation dans la soudaineté de cette cavalcade. La pianiste a mûrement pensé son affaire et, durant les trois premières plages notamment, si l'on excepte une courte pause au cours de la seconde, souhaite surtout mettre la plus grande distance possible entre elle-même, ses fantasmes et ses souvenirs. Elle calme d'ailleurs le jeu, lors du "Fragment 4" de sa chevauchée chaotique, estimant certainement que les fantômes à sa poursuite ont perdu assez de terrain pour lui laisser le temps de poser un instant le sac de ses pensées afin d'en trier le contenu chaviré. Puis, rassurée sur le bien-fondé de ses agissements, elle repart de plus belle à la rencontre de celui dont on aurait pu craindre qu'il soit, justement, l'objet de sa fuite, tant son ombre et son souffle occupent d'espace, et qu'elle rejoint en fait pour cette ultime pièce en quartet intitulée "Sub Rosa". La trompette de Jean-Luc Cappozzo surgit alors de derrière la basse, grimaçant légèrement dans son expressionnisme naturel, avant de tracer elle aussi son chemin entre les pièges harmoniques tendus par sa facétieuse progéniture, les cordes vagabondes du bassiste et les fréquents accidents causés par un batteur amateur de ferraille et de carambolages. Ignorant du tumulte ou plutôt s'en riant, il explore et musarde, esquive les embûches à petits pas furtifs, court le long d'une ligne qu'il enlace et fléchit, soulève les recoins d'un accord assez large puis repart, volatile, vers d'autres surprises avant de se poser enfin sur le piano où Cécile règne en maîtresse des lieux, du déséquilibre et du temps.
Quant à la rythmique élue pour cette première séance, elle est tout bonnement parfaite puisque, à l'image de sa leadeuse, filant de l'avant sans craintes ni scrupules et frappant juste, là où elle le souhaite plutôt que là où on l'attend. Patrice Grente, par la rondeur de son timbre et la relative discrétion de ses interventions, n'est pas toujours éloigné du susdit Haden quand Etienne Ziemniak se situe par contre aux antipodes de Motian, ne serait-ce que par la rudesse de sa sonorité, dont il use et abuse, frappant à tout va et semant le désordre… Etrange alliage que cette alliance entre douceur et âpreté, galbe du paysage et rigueur du chantier, qui constitue pourtant le reliquaire secret où Cécile Cappozzo déposera sub rosa la pierre taillée dans la masse de ses plus intimes contradictions !
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