All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Dès le tout premier album, gravé en septembre 2011 pour Ayler Records, la musique de Théo Ceccaldi nous avait très agréablement surpris par une identité sonore qui ne révolutionnait sans doute pas la notion même d'écoute, mais n'en demeurait pas moins troublante. Vous vous souvenez sans doute de ce trio à cordes substituant une guitare électrique au classique violon alto et troussant, dans "Carrousel", des ritournelles futées bigrement propices à l'improvisation ? Et bien les trois hommes viennent de récidiver sur le même label et nous assènent au passage la vigoureuse preuve qu'on peut être jeune et impatient sans pour autant céder aux facilités de la redite.
Et pour bien commencer, le trio, tel les Trois Mousquetaires, est devenu quartet en s'adjoignant les bons offices d'une contrebasse tenue de main de maîtresse par la bonne fée Joëlle Léandre, marraine dudit "Carrousel" et qui, dans ses liner notes, se fendait alors de ces mots : "La musique est lyrique, profonde, ouverte à l'aventure, risquée comme la vie". Honneur à l'invitée, donc ! La Dame agit ici en toute discrétion et ne phagocyte en rien ses hôtes du moment. Le son est là, bien sûr, reconnaissable entre tous par sa rondeur, sa présence tendue à l'extrême et l'autorité de ce coup d'archet au service de la justesse et de l'intelligence des intentions. Ce fameux lyrisme qu'elle a su reconnaître chez ses jeunes compagnons est devenu indissociable de son propre langage où fermentent aussi bien le tragique de la passion que les soubresauts d'un humour poétique dont l'expression verbale n'est qu'un des multiples aspects. Mais si Joëlle donne ici le meilleur d'elle-même, se fondant malgré tout dans la matière collective, la véritable évolution relevée entre les deux enregistrements réside plus encore dans l'audace avec laquelle Théo Ceccaldi et ses pairs revisitent l'univers des cordes et ses architectures diverses ainsi que les constantes perturbations inhérentes à toute forme de création fondée sur l'interaction. Plus question, désormais, que la guitare de Guillaume Aknine trace les seules arabesques traditionnellement dévolues à l'alto. Ca craque de partout, crépite, hurle et découpe l'atmosphère avec le tranchant de lames impératives bien décidées à en découdre quand cela ne grésille pas dans l'abstraction de l'électronique ou, au contraire, ne tinte pas dans la brillance acoustique de l'acier tiré au clair. Le violon du patron alterne régulièrement l'arco et le pizzicato selon qu'il suit de loin des lignes mélodiques plus suggérées que franchement énoncées ou brosse la toile de fond d'un paysage pointilliste ou fourmille une multitude d'évènements. Là encore, le trait se veut incisif et, l'instrumentiste ne s'interdisant aucun désir stylistique, l'air ambiant se voit littéralement taillé en pièces par des saillies puissantes que soutient encore le son énorme de la guitare, des brèches profondes empruntant leur expressionnisme aux plus incorrigibles romantiques ou de sombres déchirures puisant leurs origines dans la nuit tzigane. Quant à Valentin Ceccaldi, dont le violoncelle accueille avec bonheur ce renfort venu du côté des graves, il visite hardiment toutes les strates du spectre sonore, affranchi de responsabilités rythmiques dont il ne dédaigne pourtant pas la charge, l'esprit ouvert aux sollicitations contrapuntiques du violon comme à l'appel de cette masse bouillonnante émanant des amplis et des cordes mêlées de la guitare et de la contrebasse…
Théo Ceccaldi et ses amis ne sonnent pas comme des théoriciens du son, mais comme des addicts de cette matière incandescente qui brûle nos corps et nos cœurs depuis la membrane de nos tympans. Ils jouent de la musique comme d'autres pratiquent le rafting, se jetant inconsidérément dans les rapides du torrent, confiant dans leurs capacités à maîtriser leur embarcation comme dans la vivacité de leurs réflexes, mais n'éprouvant de réel plaisir que lorsque le danger leur souffle dans le cou. Ainsi, avec de telles qualités instrumentales, auraient-ils pu rivaliser avec les meilleurs solistes classiques ou consumer leurs cordes dans les brasiers du free. C'eut été trop simple, bien sûr ! Il leur a donc fallu goûter au fruit vert de l'innovation et, sans rien rejeter de leurs influences communes, inventer cette expression où le risque lui-même engendre le lyrisme comme la peur de mourir sous-tend la rage de vivre.
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