All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Durant les toutes premières minutes de cet album amoureusement édité par Ayler Records, le "Carrousel" de Théo Ceccaldi semble tourner avec la régularité d'un simple trio à cordes. En effet, la seule différence entre le présent groupe et une stricte formation classique demeure le choix d'une guitare électrique en lieu et place d'alto. Or, comme ladite guitare évoque irrésistiblement, par son attaque et sa sonorité, le pizzicato des violonistes, il faut attendre un moment avant que l'intrus ne se démarque réellement de son entourage. Guillaume Atkine n'outrepassera d'ailleurs jamais les attributs de sa fonction… Point de saturation ni de stridences tirant vers le rock ou la noise dans cet ensemble résolument chambriste ! L'équilibre et l'harmonie gouvernent ces échanges raffinés, placés sous le signe d'une beauté immédiatement perceptible.
N'allez pas croire au demeurant qu'il s'agisse là d'un reproche ! Théo Ceccaldi est un musicien tout ce qu'il y a de plus sérieux et l'on aurait tort de le ranger trop vite dans le tiroir honni de la récréation consensuelle. Les onze plages de cet enregistrement ne secouent sans doute pas le cocotier de l'innovation, mais on y perçoit, malgré tout, les marques d'une liberté de mouvement due à l'évidence de l'exécution et à l'écoute mutuelle des instrumentistes. L'écriture du violoniste et principal pourvoyeur de thèmes dénote une aisance qui l'assimilerait plus à un habile mélodiste qu'à un austère génie suant sur ses partitions la complexité de structures alambiquées impossibles à jouer sans y perdre aussitôt sa spontanéité. Bien au contraire, la finesse des arrangements tient compte des interprètes à venir et, tout en préservant le plaisir créatif des contrechants et entrelacs divers dont la subtilité ravit l'auditeur et l'exécutant, laisse une large place à la sensibilité de chacun. Ainsi, Guillaume Atkine assume parfaitement le rôle hybride d'altiste guitariste, ciselant les contours d'accords impressionnistes ou étirant la durée de notes tenues à l'extrême. La vélocité ne le prend qu'en de rares instants, lors de riffs de passage vers un changement de cap ou la fin d'une section, et les quelques effets dont il use parfois, dans l'approfondissement d'une résonance ou l'exaltation furtive d'un accent lyrique, ne doivent leur efficacité qu'à une parcimonie proche de la discrétion et, par là même, de la justesse. Plus réservé encore apparaît Valentin Ceccaldi au violoncelle, qui ne se mêle d'intervenir que lorsque sa présence est vraiment indispensable, pour doubler une phrase, broder un contrepoint ou alimenter la masse sonore. Car si l'ensemble s'inscrit d'avantage dans la délicatesse du fer forgé que dans la force brutale du béton armé, il n'en dégage pas moins la puissance expressive d'un investissement sans faille, à laquelle se mêle une virtuosité du geste et de la mise en place aussi limpide que modeste.
Et cela chante et danse, épouse dans sa course la sinuosité de figures changeantes que la rectitude d'un trait interrompt quelquefois par une injonction subite avant que, de nouveau, le tourbillon des lignes ne trace dans l'espace les volutes électriques d'une spirale étincelante. L'inquiétude n'est là que passagère, afin de suggérer le frisson du suspens, d'attiser l'écoute puis de libérer l'âme du malaise furtif instauré par humour, presque par malice. Car le Carrousel du Théo Ceccaldi Trio tourne dans le bon sens et n'étourdit son auditeur que pour mieux le surprendre, le cerner de son énergie virevoltante et, finalement, le séduire par le seul charme de sa jeunesse et de son intelligence…
"Trois, copains, trois jeunes musiciens, et déjà tellement de musique, d'émotions, de rigueur !" Ainsi s'exprime du moins la marraine du trio, une contrebassiste nommée Joëlle Léandre.
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