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Théo Ceccaldi Trio - Carrousel

Olivier Acosta, Mozaïc Jazz

... Et nous voici de retour chez le Tricollectif.

Après avoir succombé aux charmes de Walabix, c’est entre les cordes mêlées du trio de Théo Ceccaldi que je m’en suis allé flâner, avec par devers moi toutes les attentes que l’on peut placer dans une formation aussi peu répandue, en dépit d’un grand nombre de disques, souvent très réussi d’ailleurs, qui marient le jazz à la musique de chambre, élargissant encore la sphère esthétique d’une musique de plus en plus indéfinissable. Qu’attend-t-on d’ailleurs d’un tel disque ? De l’inattendu justement, de l’espace, des matières, des textures, on attend probablement aussi les harmonies soyeuses des quatuors tout en se demandant dans le cas du présent album comment les cordes grattées viendront souligner ou perturber leurs cousines frottées et pincées. Tous les attendus sont là, surtout d’ailleurs ceux que l’on n’avait pas envisagés, et la relation qu'entretiennent le violon et le violoncelle avec la guitare est à la fois solide et ouverte, basée sur une écoute constante et une complémentarité surprenante en terme de sonorité.

Le trio de Théo Ceccaldi est caractérisé par une répartition équitable du champ d’expression, chaque instrument étant alternativement utilisé pour soutenir ou exposer, si bien que l’expression galvaudée de « triangle équilatéral » trop souvent et à tord utilisée pour parler des formations avec section rythmique me semble ici tout à fait appropriée. Imaginons ce triangle entouré d’un cercle sur lequel serait montée une caméra effectuant une rotation ininterrompue et frôlant à tour de rôle chaque angle, faisant sur lui la mise au point tout en conservant dans son champ les deux autres, floutés ou nets quoi qu’en léger retrait, selon l’effet désiré. C’est ainsi que la musique est jouée dans Carrousel, en fonction des mouvements d’une caméra imaginaire qui en capte toutes les interactions.

Ce mode de jeu à la fois très spontané et exigeant sert une musique au sein de laquelle tournoient les thèmes, les échappées belles et les petites discussions. L’écriture ciselée et aérée des mélodies est en elle-même une source de réjouissance. Les morceaux étonnent par leur liberté de ton, par la maturité avec laquelle ils ont été pensés. Le fait qu’une large place soit laissée aux respirations permet au trio de s’emparer de cette matière première pour partir dans de lumineux développements. Deux titres totalement improvisés donnent une autre vision de la réalisation collective. Qu’elle soit concise et brûlante sur « Gros sur la patate » ou doucement mise en place sur « Melenchology », cette musique de l’instant est chargée d’insolence. S’y exprime, derrière une forme peut-être abrupte, une grande sensibilité que l’on retrouve formalisée ailleurs, comme sur les très beaux et mélodiques « Odette » ou « Cocube ». De nombreuses influences parsèment les onze morceaux de Carrousel, et si l’on se réjouit de retrouver dans cette musique chatoyante des influences venues de tous bords (valse, musique classique ou contemporaine, rock…), c’est avant tout la manière dont elles ont été digérées et utilisées pour colorer une esthétique singulière qui enthousiasme. Est-ce à cette délicieuse irrévérence que fait allusion le titre « Blouse blanche et blouson noir » ? Les trois musiciens sont assurément de savants voyous ; ils nous embarquent dans une virée durant laquelle toutes les audaces sont permises, des changements d’énergies imprévisibles de « Tiding Ting » aux ambiances paysagées serties d’un lyrisme poignant de « Objets lumineux ».

La prise de son, au plus proche des instruments, met de surcroît en valeur la finesse du jeu de chacun, saisissant toutes les petites subtilités inhérente au langage musical mais également aux « sons collatéraux », ces accents qui naissent de l’engagement du musicien et de son rapport physique à l’instrument. Cela contribue à rendre vivante cette œuvre musicale dont je vous recommande chaleureusement l’écoute.

Vous pouvez vous procurer ce très beau disque sur le site du label Ayler Records, ou via le site du Tricollectif, revigorant collectif dont je reparlerai prochainement à l’occasion d’une chronique d’un autre album remarquable, celui de Marcel et Solange.