All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Bien que la carrière de Marc Ducret ait débuté il y
a près d’un quart de siècle, sa discographie en tant que leader se
limite à une douzaine d’albums, ce qui ne reflète ni son importance ni
son talent.
Certes, ces quelques disques personnels et ses aventures aux côtés de
Tim Berne nous réjouissent toujours, mais on peut se demander pourquoi
il n’a pas (pu) davantage enregistrer sous son nom. Quoiqu’il en soit,
tout cela semble devoir changer, notamment grâce à Stéphane Berland et
Philippe Ghielmetti, qui lui ont permis d’enregistrer avec son jouissif Grand Ensemble un indispensable Sens de la marche (illusions,
2009) qui permettait de (re)découvrir ses talents de compositeur et de
leader, entouré d’un groupe de jeunes musiciens avec lequel il avait
malheureusement peu tourné faute de propositions de la part des
programmateurs...
La collaboration entre Ducret et Berland se poursuit donc aujourd’hui avec la sortie de Tower, Volume 1, (Ayler Records), première étape d’une trilogie dont le deuxième volet doit sortir à l’automne 2011.
Tower commence par un bruissement ; ça frétille, ça vibre
comme un éveil à la vie. Une forme vivante s’ébroue. Puis, le son d’un
orchestre, sûr, explosif, chaud brûlant comme un soleil, mû par une
véritable puissance tellurique - le saxophone basse y est pour
beaucoup -, s’élève, prend forme et entame sa marche en avant. Les
différents instruments prennent place, s’orchestrent autour de
l’écriture chirurgicale de Ducret. La richesse des lignes, le jeu entre
écrit et improvisé, les rythmes qui naissent et s’évanouissent, les
mélodies inventées qui percutent les lignes composées : tout ici est
sujet à jouissance auditive. On retrouve la signature de Ducret, comme
une suite du travail entamé avec le Grand Ensemble.
Il faut dire que ce quintet sonne un peu comme un orchestre. Porté par la batterie omnipotente de Peter Bruun et le saxophone basse délirant et surpuissant de Fred Gastard,
la guitare zèbre l’atmosphère sonore, indique la direction, ménage
l’espace nécessaire pour que la musique respire et que les quatre
comparses se l’approprient magnifiquement. Kasper Tranberg et Matthias Mahler
se promènent dans le canevas ainsi créé, se nourrissant de la tension
qui sous-tend toute la musique de Ducret, pour enrichir cette œuvre
curieuse de tout, originale et transfrontalière (géographiquement et
musicalement).
Autre lien de parenté entre Le sens de la marche et Tower : Nabokov. Le précédent album comportait une citation de l’écrivain tirée de "The Art Of Literature And Commonsense" in Lectures On Literature). Celui-ci est inspiré par Ada ou l’ardeur.
Les liens entre musique et texte ne sont pas évidents, même si, sur le
site d’Ayler Records, la présentation propose quelques pistes : la
musique est composée de manière à restituer la structure complexe du
texte et le processus d’écriture de Nabokov, véritable labyrinthe de
miroirs, d’allées et venues, de connexions. Voilà qui colle parfaitement
au jeu de Ducret en général, et à ce premier Tower en
particulier, notamment dans sa faculté de mêler l’improvisé et l’écrit.
Cela donne une musique tout en rebondissements mais qui retombe toujours
sur ses pieds, une musique où chaque détail compte et qui, au fil des
écoutes, trace le chemin d’une œuvre aboutie.
On ne sait si Nabokov a inspiré Ducret ou si le second a trouvé chez le
premier l’équivalent littéraire de son propre travail. Qu’importe, Tower
et ses subtilités de composition, les surprises qu’il ménage, et sa
façon de jouer avec notre mémoire sont un bonheur sans nom. Le
guitariste livre ici une musique organique, en perpétuel mouvement, à la
fois très libre et très maîtrisée, jusque dans l’agencement des timbres
et des lignes des instrumentistes.
Après le retour attendu de ce musicien majeur, on a hâte de découvrir le volume prévu pour bientôt. Une attente à nourrir par la réécoute de cet album inaugural, à ne pas manquer.
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