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Accrochez-vous ou sautez ce paragraphe !
Ce Vol.3 conclut une série de quatre, puisque le troisième paru titré “Tower, Vol 4” n’était qu’un bonus en guitare solo s’ajoutant au projet initial. Rappelons encore que, outre quelques pièces complémentaires, le quintette Real Thing 1 interprète les partitions Real Thing 1 et 2 sur Tower Vol. 1, que le quartette Real Thing 2 interprète Real Thing 3 sur le Vol. 2, que le sextette Real Thing 3 interprète les trois Real Thing sur ce Vol. 3. Cet ensemble reste cependant inachevé, un cinquième volet “Tower Bridge” étant visionnable sur liveweb.arte.tv/fr, tel qu’il a été filmé le 1er octobre 2012 à Nevers, soit la reprise des trois Real Thing par un effectif qui est l’addition des trois orchestres. Rappelons encore (voir l’interview de Marc Ducret dans notre n° 643) que ces titres sont empruntés à Ada, l’héroïne de Nabokov, pour qui les Real Things sont les “choses vraies” de l’existance, trois ou quatre real things constituant pour elle une tour (tower) lorsqu’elles sont simultanées, mais un pont (bridge) lorsqu’elles se succèdent.
On pourrait en rire comme peut y prêter l’art conceptuel, dont l’intérêt réside souvent plus dans la lecture du commentaire que dans la qualité du faire. On peut aussi s’en étonner, Marc Ducret ayant d’abord incarné la qualité du geste : technique instrumentale, placement rythmique, vocabulaire, etc. en un temps où les programmateurs français “innovants” préféraient le concept inédit (les éphémèrent “projets”) au travail de fond de formations régulières privilégiant le faire. Ce qui tint longtemps les orchestres de Ducret à l’écart des scènes françaises.
Néanmoins, avec le temps, ce top model de la guitare répondit de moins en moins aux canons esthétiques des “guitaromaniaques” déroutés par l’évolution de son geste, par les rides et pilosités que prenait sa guitare, par l’irruption du conceptuel.
Tower ne relève pourtant pas de la pose mais d’une fréquentation hyper-active de l’œuvre labyrinthique de Nabokov dont la complexité du projet tel qu’exposé ci-dessus ne donne qu’un aperçu superficiel. Il semble y avoir, dans la façon dont les procédés narratifs du roman Ada ou l’ardeur ont nourri l’écriture de Tower, quelque chose de la sagacité compositionnelle avec la quelle André Hodeir s’est nourri de l’écriture de James Joyce comme nous l’a révélé récemment Pierre Fagerton (Les Cahiers de Jazz, n°9, 2012 et Regards sur le Jazz en France, Outre mesure). Et l’on ne s’étonne pas d’apprendre qu’invité à parler de son travail à l’Université de Toulouse en 2011, Marc Ducret commença par un hommage ému à André Holdeir.
Censé conclure ce cycle (que l’on espère voir complété par la publication en CD ou DVD du concert de Nevers qui nous semble en être l’aboutissement), ce “Vol. 33 par l’orcherstre Real Thing 3, le premier à proposer les trois partitions Real Thing, illumine les deux autres. Je ne triche pas... je le dis comme je l’entends confusément. Après quoi, je reprends l’interview de Ducret, pensant y trouver quelque paradoxe. Or je n’y trouve que la confirmation de cette évidence : “Real Thing 3 donne les solutions harmoniques et rythmiques de problèmes posés et non résolus dans les autres configurations orchestrales.”
N’attendez pas une version des deux premières à la André Rieu, ni le résultat d’une équation. Il n’y a ici de solution que pour qui a bien voulu s’imprégner des deux autres albums. On remarquera d’ailleurs que Marc Ducret n’aspire pas à en dire trop sur les clés de son travail et qu’il aime laisser entière initiative à son auditeur. Mais à fréquenter les différentes pièces du puzzle Tower, on s’en familiarise et commence à percevoir les “po,ts” qui conduisent d’une version à l’autre des différents Real Thing, découvrant par exemple sur la version de Real Thing 3 de ce “Vol. 3” la mélodie de Julie s’est noyée (leitmotiv inspiré il y a plus de vingt ans au guitariste par la noyade de Lucette dans Ada), Lucette dont le fantôme pourrait bien hanter le final désolé de la version du “Vol. 2”. “Tower, Vol. 3” se termine par une postface, Softly Her Tower Crumbled in The Sweet Silent Sun (phrase typique de la pudeur où se nichent les blessures des personnages de Nabokov) dont les variations détaillent quelques-uns des moteurs polyphoniques auxquels nous ont accoutumés Tim Berne et Ducret. “Tower” avec ses jeux de masques, de transparence, d’illusion, de dérèglement chronologique, de puzzle, de “motifs croisés” (comme l’on croise les mots pour remplir sa grille), en constitue un formidable niveau d’achèvement.
Encore deux mots sur le sextette Real Thing 3, dont l’improbable combinaison instrumentale nous faisait chercher quelques volonté paradoxale dans l’intention du compositeur. Là où l’on ne croyait ne trouver qu’un complément qui prendrait tout son sens au contact des deux autres orchestres, c’est au contraire celui qui semble le plus abouti, définitif. Où l’on voit que la conception initiale du projet au geste instrumental de Ducret et des musiciens dont il s’entoure, le “concept” est indissociable du “faire”.
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