Ce disque vient réparer une injustice. Aucun enregistrement réunissant Joëlle Léandre et Marc Ducret n’existait jusqu’ici. Même si les territoires traversés par chacun ne sont pas entièrement superposables, les deux investissent pourtant depuis des années les musiques des frontières et en sont, pour tout dire, les inlassables portes-voix. Il était évident que des choses étaient à dire - et à se dire.
La rencontre ne pouvait être que fructueuse malgré la crainte d’assister à une apposition d’egos sans valeur ajoutée. Il n’en est rien. Programmé en mai dernier dans cet espace dédié à la création, au 19 rue Paul Fort, dans le 14è arrondissement de Paris, le concert, accueilli par l’hôte de ces lieux, prénommée Hélène, a été l’occasion d’un moment de musique qui dépasse toute idée de confrontation pour se donner pleinement à l’instant partagé. Faisant fi des genres, que ce soit esthétique ou de sexe, la matière créée est un paysage choisi dans lequel le masculin et le féminin ne sont pas à attribuer, d’ailleurs, à celui ou à celle qu’on croit.
La contrebassiste notamment convoque son savoir-faire avec beaucoup d’allant, avec la fermeté et l’enthousiasme qu’on lui connaît et se jette dans l’action sans pour autant fermer la porte aux interventions extérieures. Elle irrigue l’espace de sa sonorité pleine, elle alimente, invente et donne au dire le désir de dire davantage. Le guitariste s’immisce avec réserve et ingéniosité par des ponctuations métalliques qui font scintiller les contours des graves. Il les heurte par des textures plus dures qui patinent, déchirent, lacèrent ou enjolivent. Très vite le duo existe. La complémentarité des caractères est fructueuse. Changeante, elle dessine des paysages tempérés dans lequel une application particulière est portée à la respiration et au respect de l’autre.
La pensée commune prend le temps de trouver son tempo dans le choix des détails et la finesse du trait. La captation soignée (réalisée par Jean-Marc Foussat qui signe aussi la photo de la pochette) rend compte d’un parcours qui va des clairs-obscurs intimes à des tensions brûlantes intelligemment amenées et cherche à s’engager sur le chemin d’une musicalité aboutie dans cette rencontre qui tient, en réalité, de l’évidence.