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Free Unfold Trio - Ballades

Pierre Lemarchand, Jazz à Part

Ici, c’est l’air que l’on joue. La nature et ses quatre éléments ont beaucoup été célébrés dans le (free) jazz, avec comme acmé l’art développé par le regretté Revolutionary Ensemble. Car alors, et toujours aujourd’hui, la référence à la nature, comme beauté née du miracle et du hasard, semble proposer une alternative à un jazz trop préoccupé de ses codes et sclérosé à force d’y souscrire.

L’air est, des quatre éléments naturels, celui qui anime ce disque. Mais ici, pas de tempête, ni de vent fort, mais plutôt un souffle léger, une brise qui parcourt l'enregistrement de bout en bout, du premier au dernier mouvement de cymbale, une brise discrète, oui, de celles qui font tournoyer les plumes, voleter les poussières, onduler les herbes, frémir les cours d’eau. Les instruments sont ainsi joués, comme effleurés par accident ; l’air semble choquer l’un d’eux, le faire résonner, et ainsi entraîner le chant des deux autres. Car entre les trois musiciens (Didier Lasserre à la batterie, Benjamin Duboc à la contrebasse et Jobic Le Masson au piano), un courant (d’air) passe. Ils se font passeurs d’une voix naturelle qui donne à la musique le double caractère de l’aléa et de la nécessité.

La pochette du disque est un clin d’œil à un album d’Ornette Coleman (père d’une rencontre historique entre jazz et liberté), témoignage d’un concert donné à Stockholm en 1965 et intitulé Live at Golden Circle. Sur les deux pochettes, on retrouve trois hommes, regardant dans des directions différentes mais serrés les uns contre les autres dans un décor naturel avec en arrière fond des arbres. Mais si chez Coleman l’impression visée était celle de l’exotisme et du décalage, la photo utilisée pour ce disque du Free Unfold Trio corrobore au contraire son propos, va dans le sens de la musique : trois hommes en pleine nature, qui semblent surgir d’elle tels les arbres, le soleil et l’herbe, et tel le vent que l’on devine.

Revenons au Revolutionary Ensemble et à son contrebassiste Sirone, qui écrivait : « Je ressens que nous, Revolutionary Ensemble, sommes les interprètes de la Musique de la Nature. Nous pensons que chaque chose sur Terre contribue à son harmonie. Les arbres balancent joyeusement leurs branches en rythme avec le vent. Le son de la mer, le murmure de l’air, le sifflement du vent qui s’engouffre entre les rochers, les collines et les montagnes. Et le fracas du tonnerre et les éclairs, l’harmonie entre le Soleil et la Lune, le mouvement des étoiles et des planètes, l’éclosion des fleurs, la tombée des feuilles, l’alternance régulière du matin, du midi, du soir et de la nuit ! Tout révèle au voyant et à l’auditeur la musique de la nature. »
Trois mois après l’enregistrement de Ballades s’éteignait Sirone, dont le dernier souffle a certainement cheminé pour venir planer sur cette très belle session.