All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Quiconque a déjà écouté Coltrane avec émotion et s'est déjà passionné pour Poulenc le sait, au fond de lui, même si on est le plus athée des athées, que le fait religieux laisse des traces dans la musique.
Que ces traces sont brillantes, envoutantes ; que le mysticisme est une vague d'émotion qui submerge et chamboule au point de vous rendre agnostique. Laissons de côté ces considérations théologiques pour en revenir à d'autres, plus historiques : le fait religieux dans la culture occidentale (entre autre) a laissé dans toutes les cultures deux types de patrimoines. Un matériel, les œuvres architecturales ou picturales ; l'autre immatériel, la musique et les mots.
Qu'on ne s'y trompe pas, jusqu'à la naissance du disque, les deux sont intimement liés. Comme les peintures apocalyptiques dans les églises étaient là pour effrayer toute velléité de sécession albigeoise, la musique dévote des temps anciens, dès le Moyen-Âge tardif de Guillaume de Machaut, testait la polyphonie pour résonner sur les pierres qui n'étaient pas encore vieilles.
Lorsque Dieu n'est pas là, on le convoque. C'est toute la beauté de l'illusionnisme.
C'est cette démarche qu'entreprend Quentin Biardeau, du Tricollectif. On connaît le jeune homme pour son bel orchestre Walabix, mais aussi pour le Trio à lunettes ou Durio Zibethinus. Avec le Quatuor Machaut, le ténor s'empare de la fameuse Messe de Nostre Dame de Guillaume de Machaut à quatre saxophones, douce anachronie. On pourrait penser que c'est une giration complète, mais avec ses collègues, parmi lesquels on retrouve l'excellent Gabriel Lemaire. Celui de "Marcel et Solange", dont le sépulcral De l'eau la nuit nous avait tant ravi. Les deux autres sont Simon Couratier, un baryton adepte par ailleurs du Sound Painting et Francis Lecointe. Mais les individualités importe peu tant le propos collectif domine. Hante, même, lorsque le son s'enfle jusqu'à en ressentir la masse.
C'est bien cela dont il est question. Car après avoir joué ce répertoire dans les endroits les plus improbables, la Messe de Nostre Dame revu par le quatuor a remis le clocher au centre de leur propos, et c'est dans l'abbaye cistercienne de Noirlac qu'ils sont aller enregistrer. Le lieu est connu pour ses enregistrements. David Chevallier y a capté Dowland A Game of Mirrors, Michel Godard y a enregistré Monteverdi a Trace of Grace...
Mais c'est plus au Castel Del Monte de ce dernier que l'on songe, tant la bande à Biardeau a joué avec les pierres, les volumes, les déplacements, les hauts-plafonds et les piliers, membres immanents de l'orchestre.
Sur l'album Stones Air Axioms, sorti en 2011 sur le label Circum, l'acousticien Thomas Tilly et Jean-Luc Guionnet, connu comme saxophoniste mais organiste pour l'occasion, avait joué avec la cathédrale de Poitiers comme un gigantesque instrument.
La démarche est cousine ; Noirlac est l'instrument tiers. Sa consécration lui donne cet écho naturel qui permet aux instruments de muter insensiblement : voix, orgue... Saxophones aussi quand sur « Christe » la ferveur en vient aux franges du cri.
La musique du Quatuor Machaut doit s'écouter fort. Au casque s'il le faut, pour en sentir toutes les subtilités. Car c'est un travail d'airain qu'a réalisé le quatuor en investissant cette Messe.
Investir, le mot est plus juste que jouer, car pour s'approprier les chants du célèbre compositeur du XIVème siècle sur les tampons des saxophones, il a fallu un travail d'arrangement incroyable, une tâche long, opiniâtre, sensible, qui les mènent à interroger le son, l'acoustique autant que la partition elle-même. L'instrumentarium aussi, assez atypique du quatuor de saxophone : un ténor et un baryton immuables, deux barytons supplémentaires qui peuvent muer en altos. De quoi mettre les pierres en résonance.
Pour le reste, le quatuor Machaut est fidèle à l'esprit éclairé du grand voyageur qui fut l'un des piliers de l'Ars Nova : la messe est ordinaire, avec son « kyrie » où les quatres musiciens se répondent avec une ferveur retenue, son « Gloria » plus profond et mystique qui va chercher la transe dans la multitude des voix et son « Credo » avec sa certitude altière et tranquille. Entre deux, Biardeau propose des relectures personnelles, joue avec les codes de l'isorythmie et du plain-chant, va chercher le recueillement dans un puissant « Solus » de sa composition... L'expérience est totale et vous happe.
C'est Ayler Records qui a permis que ce projet aboutisse sur un disque, avec le concours du Nuage en Pantalon. Qui d'autre ? Le label mène depuis de nombreuses années un travail au delà des genres, une démarche qu'il faut impérativement soutenir en achetant des disques. Un travail passionné, d'amoureux de la musique. Avec Céline Grangey comme ingénieur du son -quel boulot!-, il propose l'une des plus belle page de l'histoire amoureuse entre nos musiques contemporaines et ces musiques anciennes qui sont tout autant les nôtres. Quelle claque !
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