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Quatuor Machaut

Olivier Acosta, Mozaïc Jazz

Elles en ont vu, les pierres de l’Abbaye de Noirlac.

Le travail du temps et les perturbations de l’histoire en ont fait disparaître certaines, mais d’autres sont là depuis toujours. Certaines ont été contemporaines de Guillaume De Machaut, compositeur du XIVeme siècle à qui l’on doit, paraît-il, la première messe polyphonique composée par un seul homme : La messe de Nostre Dame.

Quelques années plus tard, 650 environ, le Quatuor Machaut, emmené par Quentin Biardeau, s’installe dans l’Abbaye pour y enregistrer leur propre lecture de ladite messe, dont les musiciens livrent une version qui a la particularité de faire le grand écart entre la mystique de l’œuvre originale et les conceptions esthétiques dont ils portent le flambeau aujourd’hui. 

En mêlant aux parties originales de la messe des épisodes composés pour cette interprétation, et en s’appropriant le matériel original avec son expression moderne, le quatuor provoque un choc temporel qui interpelle, mais surtout qui situe cette œuvre (ce disque, s’entend), hors du temps. Un peu comme quand on quitte l’agitation urbaine pour pénétrer dans un lieu sacré, sans sas. Il y a ce contraste qui suspend nos repères. Cet effet de tout à coup. Tout à coup il fait frais, tout à coup c’est silencieux, tout à coup je me tais.

Avec la messe façon Quatuor Machaut, tout à coup l’idiome moderne, celui des musiciens qui pratiquent l’improvisation mais plus encore celui que les membres du Tricollectif semblent avoir créé de toute pièce à force de conjuguer leurs expressions respectives, se met au service d’une musique ancienne, et qui plus est religieuse. Tout à coup, la musique sacrée se pare de fissures et de stridences. Tout à coup, on ne sait plus trop ce qu’on écoute tant les parties composées et l’improvisation servent l’incantation, tant la mystique de l’œuvre originale marque de son empreinte les mouvements de cette masse protéiforme que devient souvent le quatuor.

S’alternent les épisodes séraphiques, les parties étales que les saxophones, par des harmonies sans cesse remises en cause, développent sans brisures, et des mises en tension où le cri et la saturation viennent chahuter la sage liturgie. Le quatuor privilégie le travail collectif des timbres mais de cette pâte sonore s’élèvent régulièrement des voix, où s’incarnent la puissance d’évocation de cette musique, toujours à cheval entre les émotions véhiculées par l’élan spontané de l’improvisateur et celles que font naître le lieu, son écho, son impact sur la profondeur du son de chacun. Sur « Solus », Simon Couratier semble défier l’abbaye, en tester la capacité à absorber le cri de son baryton. Ce à quoi elle répond en faisant tournoyer son grondement pour lui donner l’apparence d’une prière tourmentée. Ce moment me rappelle - étonnamment - le fascinant solo que Gabriel Lemaire donna durant les dernières soirées tricot, comme le travail de "roulement" du son collectif renvoie à l'approche atypique de Durio Zibethinus. Le chemin se fait, suivre le cortège est un privilège.

L’enregistrement a eu lieu la nuit, et on peut sans peine imaginer combien Quentin Biardeau, Gabriel Lemaire, Francis Lecointe et Simon Couratier ont dû prendre plaisir à remplir de sons cet espace, à jouer avec les effets de résonnance, à inviter les pierres à jouer leur rôle, à travailler le son. Mes camarades Diane Gastellu et Yann Bagot ont pu assister à une partie de cet enregistrement, ce qui les a visiblement transportés. Je les envie un peu, pour être honnête, mais ils ont la gentillesse de partager ces moments forts avec nous par le biais d'un reportage, d'une interview et d'un reportage dessiné. 

Cette expérience à part, d'une beauté troublante et magnifiquement enregistrée par Céline Grangey est disponible chez Ayler Records. Faites-vous ce plaisir, charité bien ordonnée...