Ces trois enregistrements m’ont poursuivi longtemps. Je tente ci-dessous d’en rendre compte au ras de l’écoute. Je veux souligner seulement que le projet de Benjamin Duboc me semble tout entier contenu dans son solo, qui s’installe comme un environnement sonore plus que comme une « musique » au sens habituel du terme – mais l’habitude nous trompe et nous devons nous en défaire. Comme si la démarche – et on la rencontre en de nombreuses occasions dans le champ dit des « musiques improvisées » - avait à voir avec une sorte de « tabula rasa » proche, dans le domaine des objets musicaux, du doute radical cartésien. On sait seulement que chez Descartes c’est un moment, qui précède la reconstruction des vérités. En art, il en va différemment. Mais « primare cantus », c’est peut-être ça au fond. Quelque chose de premier, de fondamental, de fondateur.
CD 1 : solo. Quelque chose bat, ou respire. Il semble. Quelque chose ensuite vibre. Ensuite, assez longtemps après. Ça se répète, ça provient peut-être d’une intention, il y a comme une ébauche de rythme. Ce pourrait être une machine, ou un organisme vivant. Il y a ce son sourd, ce battement, et puis un frottement distinct. Qui s’amplifie très lentement. C’est alors comme le passage très lointain de quelque chose qui trace, avec pour finir une sorte de respiration. Le rythme disparaît. En douceur, comme dans ce poème de Victor Hugo, « Les Djinns ». Apparition (à peine), disparition (à peine aussi). Si c’est une histoire, elle est immobile ou presque.
CD 2 : série de duos avec saxophone ou éléments de batterie. Des souffles et des sons. Extrême précaution : pourquoi rompre le silence ? « L’univers est-il un défaut dans la pureté du non-être ? » Ou encore : les sons, ça va, le problème c’est la musique. Trames et entrelacs. Quelque chose du solo absolu se rejoue, en plus ouvert parce qu’il faut accueillir ce qui vient. Ce qui arrive. Il se pourrait même que ça se mette à parler. Les quatre dernières pièces (avec Guérineau) sont les plus explicites du recueil. Un recueil, c’est ça, un accueil et un recueil. Qui n’a rien de religieux, s’entend. Quoique, la parole... On la taira.
CD 3 : duo avec guitare, ou trio avec piano et trompette, et sons enregistrés dans la nature (« Chênes »). Le morceau « Garabagne » a été enregistré au Carré Bleu de Poitiers. Le duo avec Pascal Battus rejoue un peu le commencement (le solo absolu), dans une dimension organique qui fait le fond de cette « musique ». Je mets des guillemets parce que je me demande dans quelle mesure (voir plus haut) on ne tend pas ici à se méfier de la musique. Faudrait s’entendre !!! Il y a du rythme et des répétitions, mais la guitare ajoute une dimension, celle des picotements, du feu qui grésille. Pas encore un langage. Un foyer. Dans la dernière pièce, l’introduction du piano et de la trompette ne changent pas le côté tellurique, « naturel », de l’agencement des sons.