All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Benjamin Duboc est un contrebassiste français très actif dans la scène free jazz (cf. le très énergique trio The Fish avec Guionnet et Perraud, des collaborations avec Cappozzo, Lazro, etc.) mais aussi dans l'électroacoustique (musiques de films, commandes pour chorégraphies, etc.). Pour ma part, je l'ai principalement entendu au sein de The Fish, un trio fantastique déjà publié par Ayler Records. C'est ce même label qui a pris la bonne initiative de sortir ce coffret de trois disques présentant les diverses facettes du contrebassiste, coffret composé d'un solo, de plusieurs duos avec des collaborateurs souvent réguliers, et d'un trio.
"Primare cantus", la première pièce qui compose le premier disque, est un long solo de contrebasse où Benjamin Duboc frotte son cordier avec un archet durant quarante minutes. Une pièce d'un seul mouvement lent et minimal qui explore le registre très grave de l'instrument, une descente abyssale vers les profondeurs de la contrebasse. Lente, d'apparence statique et monotone, cette pièce est néanmoins envoutante dans la mesure où elle déploie de multiples et infimes variations qui vont de l'imperceptible changement de vitesse de l'archet aux sons aigus et instables des crins. Ce chant primaire ressemble ainsi à une musique de transe chamanique, où le musicien peut sortir de lui-même grâce à la répétition obstinée d'une idée sonore. L'attention requise est exigeante bien sûr, car chaque changement est très progressif et minimal, mais cette très belle évolution ascensionnelle accède à un univers hors du commun (le royaume des esprits auquel le chamane a accès?), un univers véritablement envoutant et enchanteur où les basses organiques saisissent l'auditeur à bras le corps pour l'emmener sur un territoire délicat et original. Très belle pièce pour ce premier solo.
A mon avis, le second disque est le moins intéressant des trois, et le moins réussi. Beaucoup moins aventureux et créatif, cette suite de duos se situent sur un territoire bien plus stagnant. Très "free jazz", ces duos rassemblent plusieurs proches collaborateurs de Duboc, les saxophonistes Jean-Luc Petit et Sylvain Guérineau ainsi que le batteur Didier Lasserre. J'ai eu l'impression en entendant le duo Duboc/Petit d'un discours informe où chacun fait étalage de son imaginaire sans trop se soucier de l'interaction possible entre les deux instruments: quelques techniques étendues, beaucoup d'idées, mais qui ont souvent du mal à s'assembler et se soutenir, une suite déconstruite et éclatée assez plate en somme. Puis viennent trois pièces avec Lasserre qui choisit une batterie réduite à une caisse claire plus une cymbale. Plus intimes et plus interactives, ces trois improvisations prennent véritablement en compte les points de jonction entre les timbres, notamment durant "L'arbre se coucha" où un drone infrabasse soutient les harmoniques de la cymbale, mais aussi sur "Puis l'écorce et la verdure" avec ce magnifique pizzicato mêlé aux balais sur caisse claire. Je ne sais pas si la proximité et l'intimité proviennent d'une collaboration plus intense et plus longue entre les deux musiciens, mais ce duo est de loin le plus abouti de ce second disque. Les dernières pièces avec Guérineau sont aussi un peu plus interactives que les toutes premières, mais l'espace est néanmoins toujours aussi saturé, et le dynamisme intense propre au free a une fâcheuse tendance à s'essouffler durant ces improvisations. Néanmoins, le duo sait aérer l'espace sonore et varier les dynamiques de temps à autre, et l'écoute est beaucoup plus attentive, du coup il y a forcément quelques moments encore très intenses et prenants. Cette deuxième facette du contrebassiste s'avère n'être pas forcément la plus aboutie, malgré la longue histoire du contrebassiste au sein du mouvement free, mais peut-être faudrait-il seulement se demander si ce n'est pas tout simplement du à la forme duo qui ne correspond pas forcément à ces musiciens, et à ce type de musique, ou tout simplement à l'impossibilité de véritablement développer un discours et un univers en une si courte durée...
Pour le troisième disque, Benjamin Duboc explore un univers beaucoup plus aventureux et expérimental, avec un duo en compagnie de Pascal Battus (micros de guitare), un très court solo puis un trio avec la pianiste Sophie Agnel et le trompettiste Christian Pruvost. La première pièce, d'une durée de vingt minutes, nous montre un contrebassiste énergique et créatif, capable de répéter de courtes cellules très graves et abrasives, denses et intenses, où le cordier paraît encore utilisé comme une corde. A côté, Battus envoie des signaux sonores souvent corrosifs et saturés, qui finissent par rééquilibrer la texture globale du duo en explorant un registre plus aigu. Une improvisation structurée proche de l'indus et de la noise, qui navigue sur des flots texturaux et timbraux répétitifs et industriels, mécaniques et profonds. Une pièce progressive qui commence calmement mais gagne une intensité puissante et une richesse sonore de plus en plus dense, complètement mise en avant par la structure minimaliste. Avant le trio, Duboc propose une courte pièce pas passionnante composée d'une frêle nappe éthérée électroacoustique, à partir certainement de field-recordings. Une sorte de tableau végétal d'un feuillage agité par le vent durant cinq minutes, sur lequel je n'ai pas grand chose à ajouter car la durée empêche encore une fois un quelconque développement. Puis vient la dernière pièce, où se mêlent les cordes préparées d'Agnel, les souffles de Pruvost et les fondements basses de Duboc. Ici, la contrebasse sera discrète, le son global est un mélange de timbres souvent indéfinis et le mouvement dynamique qui anime la structure de la pièce s'apparente à une longue descente, à une perte d'intensité, suivie d'une montée jusqu'au climax final. Cette fin est vraiment exaltante et surprenante, à bout de souffle, l'endurance du contrebassiste prend fin dans une apogée primitive et agressive, sauvage et puissante. Dynamisme des timbres et des densités qui se croisent, se mêlent, s'opposent et se fuient selon les moments; les différentes énergies sont extrêmes, de la plus faible intensité où les sons peinent à sortir des instruments jusqu'au cri commun généré par un trio en transe.
Trois disques qui valent le coup pour au moins trois pièces vraiment créatives et puissantes, à savoir le solo "Primare cantus", "Un nu" avec Battus, et "Garabagne" avec Agnel et Pruvost. Pour le reste, il y a des hauts et des bas, beaucoup de pièces qui n'ont personnellement pas pu me saisir à cause du manque de développement. En tout cas, cette présentation des différents travaux de Benjamin Duboc permet une véritable immersion dans l'univers varié et riche de ce contrebassiste talentueux, une immersion dans des territoires souvent beaux et envoutants, denses et riches.
Recommandé!
Order our CDs directly using