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Alexandra Grimal - Andromeda

Olivier Acosta, Mozaïc Jazz

Comme les étoiles.
Eparse, scintillante, placée la-haut, au firmament, la musique toujours renouvelée d’Alexandra Grimal semble être une intarissable source de plaisir, d’autant qu’elle revêtit des atours qui à chaque fois surprennent. Parfois tellurique et fiévreuse, parfois diaphane et réfléchie. Toujours captivante, exigeante et généreuse.

En ce moment, entre autres projets, la saxophoniste passe beaucoup de temps avec ses deux quartets. L’un est européen (Nelson Veras, Jozef Dumoulin, Dré Pallemaerts), l’autre américain. C’est avec ses compagnons d’outre-Atlantique qu’elle a gravé ce superbe Andromeda, qui s’apprécie, comme l’observation de la voûte céleste, en y étant pleinement consacré, libre de se laisser le loisir de l’abandon. Ce n’est pas que la musique qui y est jouée est difficile, non. C’est simplement que sa subtilité, sa fragilité ne souffrent pas l’écoute approximative. Les parties individuelles et collectives laissent une large place au silence, qui participe, à l’instar du noir profond de la nuit, à donner du sens à chaque note-étoile, à leur permettre d’avoir une place définie, avec entre elles des distances, des espaces qui dictent la poésie de l’ensemble. A ce titre, les compositions d’Alexandra Grimal ont une réelle dimension picturale, et peuvent exprimer beaucoup de choses avec très peu de notes. Plus qu’une économie de moyen, il s’agit ici d’un art du dépouillement. Le premier morceau, « Little Step », peut illustrer cette démarche. La saxophoniste y joue, en tout et pour tout, 15 notes. 8 en introduction, une note un peu tenue au centre de la pièce, puis, à la fin, deux fois trois notes, séparées par une longue respiration. 15 notes seulement. Mais qu’elles sont belles. Pour autant, le quartet ne s’enferme pas dans ces schémas dillués, et sait donner à sa musique de la densité, comme durant la belle improvisation d’Alexandra Grimal sur « Cassiopée », qui amène une tension alimentée par l’énigmatique errement qui la suit. On y entend, à travers les harmoniques suspendues de Todd Neufeld, la ligne spatiale de Thomas Morgan et les bruits de gong de Tyshawn Sorey, la symbiose, en vision partagée, du groupe. Tout paraît si logique et si organisé. Tout est pourtant, d’un point de vue formel, si complexe…

On peut d’ailleurs supposer que c’est pour arriver à cela qu’Alexandra Grimal a décidé de s’entourer de ces trois musiciens américains, dont l’approche et la sonorité correspondent parfaitement à ses intentions musicales. Si l’on regarde un peu en arrière, on s’aperçoit que les trois américains avaient gravé ensemble, avec Tyshawn Sorey comme leader, un très beau disque lui aussi épuré, Koan. La saxophoniste a pour sa part enregistré un certain nombre de Koans musicaux en duo avec Giovanni Di Domenico sur l’album Ghibli parut sur le label Sans Bruit. Soit une attirance commune pour les petits formats simples en surface et conçus comme des portes d’entrée à la réflexion, à l’approfondissement. Ce que l’on retrouve au long des 6 compositions du présent disque, dont les thèmes à proprement parlé sont de petits motifs dont découlent de longs développements organisés en flux d’énergie plus ou moins denses, au cours desquels chacun trouve le temps d’apposer sa griffe personnelle, sans pour autant se mettre en position soliste. L’improvisation est omniprésente mais balisée par un travail d’écriture précis. Il n’empêche, les promenades harmoniques de Todd Neufeld, la sonorité singulière et les qualités de placement de Thomas Morgan, les motifs percussifs mouvants de Tyshawn Sorey sont de vrais délices.

La musique d’Andromeda ne brille, comme la nuit, que grâce aux myriades de lumières discrètes dont elle est constellée. Alexandra Grimal pose un nouveau jalon dans son irréprochable et hétérogène discographie. C’est donc avec des étoiles plein la tête que nous attendrons la sortie de son prochain disque enregistré, cette fois, avec son passionnant quartet « européen ». Pour l’heure, rendez-vous sur le site du label Ayler Records. Vous pourrez vous y procurer ce petit concentré de poésie lunaire.

Je vous invite également à lire la passionnante interview d'Alexandra Grimal par Laurent Poiget sur Citizen Jazz.