All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Il est hélas rare que le concert produise de l’étonnement, de l’inconfort, de la surprise – états d’esprit qui sont à l’auditeur consciencieux ce que la provocation ahurie est à Robert Ménard : une quête. Alors avec un disque, ça n’arrive pour ainsi dire jamais passées l’adolescence et la naïveté. Sylvaine Hélary y est parvenue toutefois avec cet objet hors-norme, ce rouleau de printemps hybride et audacieux.
Et pour commencer, la forme. Intellectuelle, résolument intellectuelle en ce que la première partie « Printemps » se situe à tiers-chemin entre la performance théâtrale, la musique et le manifeste politique. Le printemps dont il s’agit est arabe, et une longue conversation téléphonique enregistrée en live avec Aalam Wassef (blogger cairote) depuis le Caire constitue un premier fil rouge autour duquel les musiciens tissent savamment leur propos. L’irruption de cette parole fait glisser le projet vers le documentaire musical autant que vers le discours politique ; et situe pleinement la musique de la flûtiste dans un contexte social et esthétique radical : esthétique par les nécessités de l’accompagnement de la parole (non chantée) ; social car Sylvaine Hélary invite la musique à la table de nos réflexions sur des événements dont elle ne sous-estime aucunement la complexité. Si ce parti pris déplaira certainement à beaucoup dont je ne fais pas partie ; il n’enlève rien à cette vigoureuse audace et à au fait qu’elle est rondement menée.
Intellectuelle, et vous n’avez rien vu : en plus de l’onctueuse gravité de la voix de Wassef, cette première partie toujours insère aussi des extraits d’une conférence (semble-t-il intense) portant sur la question de « Magie et philosophie », qui par leur traitement musical deviennent absurdement profonds et légers. L’alternance de ces deux paroles « extérieures » en même temps que d’autres textes lus pose prioritairement et avec une force de conviction et de de réflexion hallucinée cette même question de la situation dans notre monde de la musique ; et par-delà des gens qui la pratiquent, l’écoutent, etc.
Intellectuelle, soit ; mais pas que. Pas tant que cela d’ailleurs à gratter derrière la forme du projet qui pour être radicale n’en demeure pas moins que cela, une forme. Or, il y a loin de ce Spring Roll Printemps à l’article du Monde Diplomatique. Le propos est musical, et en dehors du rapport aux textes lus, possède une élégance spectrale alliée à une vérité simple. Balèze, quoi. Que ce soit dans la composition (toutes de Sylvaine Hélary, sauf une d’Antonin Rayon) ou dans l’exécution, l’alchimie de l’album captive pleinement, au-delà même du simple fait qu’elles font oublier l’exigence cérébrale des textes au profit d’une écoute plus universelle et plus poétique (« Le désert blanc sale dure assez »). La deuxième partie de l’album, « Spring Roll », délaisse d’ailleurs ces ready-made parlés et discursifs pour offrir une suite musicale plus proche de ce que la flûtiste nous a habitués à entendre ; et qui lui a ces dernières années conféré à bon droit son envergure nouvelle sur la scène des musiques improvisées et jazz.
Autour d’elle, des habitués parvenant malgré tout à couper le souffle par une sobriété qui va à l’essentiel, à commencer par les deux soufflants (Hélary donc aux flûtes, et Hugues Mayot au sax et à la clarinette) sur « Ailes » et « Deux », qui ne sont rien d’autres que des exemples. Le pianiste Antonin Rayon éclabousse de sa classe sans prétention cet album d’interventions allant d’une force plus que naïve – monodique – sur « Trop Près », jusqu’aux percussions plus véhémentes qu’on cherchera plutôt du côté de « L’esquive ». Sans oublier le vibraphone de Sylvain Lemêtre : mais quel instrument, encore une fois… Au cœur de ces hiatus parfois infinitésimaux, parfois béants, Sylvaine Hélary et ses musiciens trouvent les ressources d’un remarquable album, et déposent aux oreilles de son auditeur honnête des espaces et une liberté qu’il n’avait jamais entendus.
Remarquable ? Non, non, non, foin d’euphémismes : Spring Roll Printemps, c’est ouf, ça pète le score et le cerveau ! De la bombe ! Merci Sylvaine !
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