All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Marc Ducret est tout autant un guitariste incandescent qu’un architecte subtil. Selon ses projets, il peut à l’envi effacer ses ardeurs où les cultiver, se fondre dans le collectif ou mettre en avant ses jets de feu, privilégier l’écriture où la spontanéité. Evidemment, c’est souvent un peu de tout cela, précautionneusement agencé pour servir un propos toujours d’une remarquable intelligence. En témoignent, pour ne parler que de réalisations récentes, les différents volets de la fantastique série Tower ainsi que leur aboutissement live Tower-Bridge, disques toujours disponibles chez Ayler Records et hautement recommandés. Le guitariste y avait agencé des morceaux, interprétés par différentes formations selon les épisodes, basés sur des situations ou personnages issus de Ada ou l’ardeur, et écrits dans le respect des procédés narratifs utilisés par Vladimir Nabokov dans son ouvrage. Une véritable somme, passionnante, redoutable de précision et d’originalité.
Après cette entreprise colossale, Métatonal apparaît comme un retour à une formule plus propice au lâché prise. S’il est évident, et peu surprenant, que la recherche formelle a une fois de plus été poussée loin, il faut quand même dire que ce sextet joue magnifiquement la carte de l’explosion, comme quelque supernova illuminant l’espace de sa lumière crue. Au centre du dispositif, il y a bien sûr le trio « historique » du guitariste, où Bruno Chevillon et Eric Echampard entretiennent un dialogue rythmique hallucinant (et ceci est tout particulièrement révélé par l’expérience live, qu’il faut vivre), mêlant sans concessions la hargne du rock, le groove et l’ouverture du jazz. C’est-à-dire, pour sortir du lieu commun, que tous deux parviennent à amener de la sophistication au sein d’une expression lisible et portée sur l’énergie. Les décalages, écarts, mises en suspend ou en tension, tout est imaginé conjointement dans l’instant. Cela constitue un canevas idéal pour le jeu de Ducret, véloce et aventureux. Qu’il travaille la matière comme la distorsion du riff qu’il « emprunte » aux instruments à vents sur « Inflammable » où qu’il se concentre sur le phrasé, comme sur le blues futuriste et métallique qui constitue la seconde partie de « Dialectes », son jeu est autant éruptif que cérébral. Il faut entendre avec quelle verve le trio atteint des sommets d’intensité sur ce même morceau, emmené dans la montée vertigineuse d’une batterie impériale, comment le trio joue de manière compacte sur « Kumiho » où sur la seconde moitié de l’ultime « Porteurs de lanternes ». Mais il faut aussi retenir sa capacité à réfréner ses ardeurs pour développer des phases de jeux plus aérées. En ces moments s’expriment sur un autre mode la capacité d’écoute et la créativité des musiciens.
Sur la majorité de l’album, le trio devient sextet en accueillant (s’il vous plaît) Christophe Monniot, complice de longue date du guitariste, Fabrice Martinez et Samuel Blaser. L’occasion pour Ducret l’architecte de mettre en place des motifs disposés avec précision (« Inflammable »), de travailler sur la couleur d’ensemble, et pour Ducret l’improvisateur de créer des situations de jeu qui profitent autant à l’instrument soliste qu’au reste du groupe. Ainsi, sur « Kumiho », le trio offre à Fabrice Martinez un passage éthéré que ce dernier survole de son bugle rêveur. Un peu plus loin, sur le même morceau mais dans une phase beaucoup plus incisive, c’est Christophe Monniot qui s’échappe, avec le guitariste sur les talons. Tous deux virevoltent au long d’un « double solo » où le guitariste investit les espaces laissés par le saxophone fougueux, pour mieux l’exhorter à l’emportement.
Toutes les compositions se décomposent en parties plus ou moins fiévreuses qui ont en commun de faire la part belle au jouage et à l’interaction. Ce choix d’une musique libérée, instinctive, est renforcé par une longue pièce, « 64 » ou deux compositions de Bob Dylan sont interprétées. « The Times They Are Changin’ » et « Wigwam », font partie des musiques qui ont marqué la jeunesse de Ducret. Qu’il en propose une relecture en forme d’explosion de joie montre combien il a cherché à trouver le plus court chemin entre ses tripes et ses cordes. Cela transpire tout au long du disque, à mesure égale d’un raffinement dont cette musique ne se départit pas.
Courez voir cette formation en concert, c’est absolument renversant. Et pour le disque, hop ! Ca se passe chez Ayler !
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