All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Pensionnaire de l’actuel Orchestre National de Jazz et de l’aventure Tower de Marc Ducret, le saxophoniste Matthieu Metzger fait depuis longtemps figure de talent affirmé de la scène européenne, notamment par la multiplicité et la diversité de son répertoire. On l’a d’ailleurs entendu récemment en compagnie de l’accordéoniste Armelle Doucet au sein de Rhizottome, où il évoquait un folklore cosmopolite, avec le monde comme port d’attache. Parallèlement, ce fan de métal se produisait en duo avec son comparse de l’ONJ Sylvain Daniel dans une atmosphère saturée d’électronique qui rendait hommage à Prince. Signe des temps, Metzger fait partie de ces musiciens qui ont fait leur cuisine de la fusion des formes et de la dissolution des étiquettes. Servi chaud, cela donne un Selfcooking qu’il nous présente aujourd’hui en solo.
A l’instar des sculptures d’objets de récupération signées Patrice Le Garrec, qui ornent la pochette de cet album paru chez Ayler Records, les morceaux sont de petites architectures fragiles et solitaires bâties à la maison par un musicien équipé de ses seuls saxophones et machines. On trouve, dès « Présentez armes », qui ouvre l’album dans les dorures fanfaronnes de saxophones démultipliés par les boucles, une tentation ludique annonçant un travail opiniâtre sur le son, sujet central de ce solo. Tout au long du disque, Metzger va faire subir à ses saxophones toutes sortes d’altérations aptes à en modifier la chimie profonde, avec l’insoumission aux genres de ceux qui veulent parler de leur propre voix. De « La teneur », monochrome où la note se délite en une rythmique intime, à « Vu de profil l’arrière était sur un côté » qui multiplie les samples avortés comme un collage abstrait, la recette de cet album puise ses racines créatives dans la musique électronique.
Très vite on songe au travail un peu foutraque de Quentin Dupieux (plus connu sous le pseudonyme de Mr Oizo, ce musicien, par ailleurs réalisateur, laisse une large part à l’aléatoire et à l’improvisation) où le dérisoire affiché masque mal une complexité très maîtrisée : voir ce « Zozosia » où les heurts du sopranino et les ostinatos de baryton constituent une trame très organique au milieu des boucles synthétiques. Lorsque « Hibernation complexe » s’épanche comme un acide épais fait de chocs électriques et de stridulations violentes, on pense également à Aphex Twin, autre influence majeure de nombreux musiciens contemporains. Tapi au pivot de l’album, ce morceau permet au saxophone d’affronter son propre double dans un âpre combat où, perdus dans une foule de samples subliminaux, le free le plus dur et le métal le plus incisif se tutoient en un souffle d’électro.
Plus globalement, on rapprochera cette construction soliste de celles d’autres musiciens de sa génération, comme le Phoque éventré de Yann Joussein ou le Solo de Fanny Lasfargues. Placé au cœur d’influences multiples, ils ont su intégrer à leur esthétique la dimension paradoxalement très charnelle de la musique électronique, en repoussant absolument les limites de leurs instruments. Selfcooking heurtera sans doute certains amoureux du jazz ; mais l’humour frondeur qui traverse cet album s’inscrit dans une lame de fond propre à renverser toutes les chapelles. Ne reste plus qu’à prendre la vague.
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