All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Il n'est sans doute pas aussi évident d'entendre une musique dont on connaît la genèse que de l'écouter vierge de toute référence. Prenez ainsi Fred Galiay, qui a longtemps sillonné l'Asie du Sud-Est en quête des résonnances spécifiques des cérémonies bouddhistes avant de réunir ce sextet autour des compositions inspirées de son expérience… Et bien il y a toutes les chances pour que l'auditeur averti, fort d'une telle connaissance, guette les témoins de cette esthétique - dont une trop grande lisibilité entraînera cette fois un procès pour illustration intempestive - plutôt que de simplement apprécier l'aboutissement d'un travail dont les origines, en fait, ne le concernent guère. Que se passe-t-il donc vraiment au cours de ce "Time Elleipsis", dont le titre fait d'ailleurs écho au "Missing Time" gravé en solo par le bassiste en 2013, et qui n'est certainement pas un document sonore sur les pratiques religieuses du côté d'Angkor ?
Au commencement, les graves émergent d'un marais opaque, attirées sans doute par la luminosité des clochettes. Les percussions plantent une verticale dans cette surface plane et, par leur répétition, induisent un rythme à la binarité soutenue. Les frappes redoublées abandonnent pourtant leur cadence quand les flots bouillonnants continuent de gonfler, poussés par l'électricité. La guitare impose le calme à cette marée débordante qui, dès lors, semble contenir son flux dans une incertitude mouvante et la majesté des cuivres oppose une limite définitive à la montée des eaux. Absorbé par la terre, le reflux laisse vide une place bientôt envahie par les formes indéfinies de matériaux en formation : grincements de cordes, éclats de cuivre, tentatives de frappes interdites de rythme qui se distendent et s'enflent, gagnant peu à peu l'ensemble des sonorités à leur volonté d'émergence. Dans un perpétuel va-et-vient de tensions et de détentes, les tentations industrielles se résolvent en minces traits d'archet aux bornes du silence, prennent la tangente mélodique d'arpèges tempérés striés, néanmoins, d'éclairs fulgurants dont la saturation prendra bientôt le pas sur l'apparente sérénité, avant que l'éternel retour du même ne vienne clore une boucle pourtant infinie dans la régularité de son cycle.
C'est peut-être plus encore dans cette architecture récurrente, cette succession de schémas similaires dans leurs différences mêmes, que "Time Elleipsis" rejoint finalement sa thématique originelle et tend à suggérer le bouddhisme. Car, en dépit de quelques signes évidents, de gongs résonnant, de cloches tintant et de drones évoquant les chœurs en procession, nous sommes ici en présence d'une forme relativement originale, puisant également dans le jazz et le rock progressif, mais fort éloignée de toute tentation mondialiste. Ce qui, bien sûr, nous ravit d'autant que, dans son abstraite beauté, cette musique nous livre plus de pistes à explorer que de certitudes acquises et, en cela, nous fascine par son abstraction même, la radicalité de son chaos et la vitalité de ses structures en perpétuelle mutation.
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