Didier Lasserre Trio - Live at l'Atelier Tampon

Joël Pagier, ImproJazz

Le trio de Didier Lasserre, avec Sylvain Guérineau au saxophone alto et Jean Rougier à la contrebasse et autres petits instruments, était présent le 13 mai 2007 dans ce véritable havre de sincérité qu'est l'Atelier Tampon, dans le XIème arrondissement. Un lieu unique et tenu à la force du poignet par Marc Fèvre, grand amateur de vin et de poésie devant l'éternel, qui avait déjà produit le duo du batteur avec Jean-Luc Guionnet. Ici le free jazz, car c'est bien de cela qu'il s'agit, ne se décline pas en termes de force ni d'énergie, encore que ces deux critères ne soient pas absents, mais de profondeur et de poésie. Aux déluges de notes et autres explosions percussives souvent croisés dans cet idiome particulier, Didier Lasserre et ses comparses préfèrent la subtile élaboration d'une structure déconstruite et qui ne se livre pas avant que l'oreille n'en ait appréhendé toutes les finesses. Aucune évidence dans ces roulements de bois sec, ces cymbales étouffées, ces lignes brisées ou cette basse elliptique laissant moins à entendre qu'à deviner ! Les mélodies mêmes, qui se dégagent de ces échanges impromptus, apparaissent comme l'ossature d'un corps disloqué, sans forme réelle. Et pourtant, au début, on jurerait entendre un thème ! Mais il est à ce point disséqué par ces trois chirurgiens de l'abstrait qu'il en subsiste à peine l'ombre quand la conversation en vient à son point culminant. Sylvain Guérineau scrute l'harmonie, creuse incessamment le même sillon de son alto tranchant comme le soc d'une charrue et, pour peu que l'archet de Jean Rougier vienne lui-même cisailler les aigus de la contrebasse, c'est une seule lame qui entame le corps de la musique, met à nu ses nerfs et sa chair, nous livre son cœur dur comme un os et pourtant battant. Nous ne sommes pas ici en terres grasses, riches d'engrais naturels et constamment inondées. C'est un sentier pierreux que trace pour nous le trio, un chemin blanc à la surface accidentée de roches affleurantes, dont la poussière asphyxie le marcheur et dont la moindre parcelle est un territoire à gagner, une lutte harassante de caillasse à extraire sous le cagnard par bribes successives, par vagues de chaleur déplacées au hasard d'un souffle, d'une corde grinçante, d'un chaos métallique.

Dans ce disque superbe où la moindre note se mérite et sent la sueur de celui qui l'a offerte, Didier Lasserre semble nous dire à quel point il est difficile d'exprimer un simple son quand tant d'autres auraient pu exister. Un peu comme Hitchcock ou Kieslowski nous rappelaient, dans "Le rideau déchiré" ou "Le Décalogue 5 : Tu ne tueras point", combien il était dur d'assassiner un homme. Si, selon Jean-Luc Godard, "Tout travelling est une affaire de morale", le free jazz, tel qu'il est ici incarné, s'affirme, ni plus ni moins, comme une question d'éthique.


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