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Marc Ducret - Tower, vol.4

Joël Pagier, ImproJazz

Depuis "Détail", paru en 1996 chez Winter & Winter, on n'avait plus guère entendu la guitare acoustique de Marc Ducret. Il faut dire que lorsqu'on maîtrise à ce point l'amplification et que l'on aime à s'entourer de batteurs à la frappe énergique (Eric Echampard, Tom Rainey), l'électricité devient rapidement nécessaire, pour ne pas dire indispensable. De plus, après cet enregistrement, notre homme avait choisi d'aller se faire entendre ailleurs, du côté de Brooklyn et du label Screwgun de Tim Berne. Il y avait partagé l'affiche du Big Satan fondé par le saxophoniste, gravé "Un certain malaise" en solo ultra branché puis "L'ombra di verdi" avec son trio régulier, croisé les chemins de son alter ego Elliott Sharp ou du percussionniste Bobby Previte, s'était immergé, en un mot, dans un bain new yorkais particulièrement conducteur. Son retour en Europe auprès des cuivres d'Alain Vankenhove et Michel Massot, du slam de D' de Kabal ou des jeunes musiciens du "Sens de la marche" semblait également vouloir confirmer la constance de ses orientations sonores… Et pourtant, quelque part, la luminosité sans artifice de l'acier manquait à notre paysage, comme le souvenir de la période bleue pouvait hanter les amateurs d'un Picasso définitivement fasciné par les nuances du rose.

La sortie de ce "Tower 4", en solo intégral et strictement acoustique, fait donc figure d'évènement puisqu'il vient combler un vide d'autant plus insondable que souvent inconscient… Et ce même s'il suit immédiatement le "Tower 2", en dépit de la plus élémentaire logique arithmétique…*

Le premier titre nous surprend à tel point qu'on se demande si Marc Ducret joue toujours de la guitare ! Perché dans les aigus, l'instrument se révèle économe et la brièveté de ses vibrations évoque plus un shamisen ou l'un de ces outils sans frètes dont le son meurt très tôt sur la touche et qu'affectionnent notamment les traditions d'Extrême Orient. Le soliste renouera d'ailleurs un peu plus tard avec cette technique de médiator qui n'est pas sans rappeler l'attaque de Bruno Chevillon, acteur de son principal trio, près du cordier de la contrebasse. Très vite, cependant, l'amplitude et la profonde résonance de l'acier envahissent l'espace de single notes écartelées dont on imagine difficilement qu'elles puissent engendrer le moindre accord. Ce qui advient pourtant, dans la lenteur calculée d'une dramaturgie impeccable, avant que l'énergie de l'artiste ne se déploie le long du manche, en cascades scintillantes. Dès lors, le champ est libre, disponible à la fantaisie de l'instant. Une fantaisie réfléchie, malgré tout, inscrite dans la profondeur des évènements, déclinée en longs solos spasmodiques ou suites inopinées de block chords virtuoses sous-tendant la singularité de mélodies inexprimées. Marc Ducret est sans doute, avec Elliott Sharp et quelques autres, l'un des très rares guitaristes susceptibles de reproduire sur un instrument acoustique toutes les nuances de l'amplification. Le langage qu'il s'est choisi demeure le même, quelles que soient les circonstances, fondé sur l'obsession de la résonance, la réitération de motifs complexes également exigés par la sécheresse du rythme et l'étrangeté de l'harmonie et l'accroissement d'une durée menée au-delà de son terme, bien après que la note se soit théoriquement tue. Le choix d'un tirant particulièrement lourd ajoute encore, outre la puissance requise, à l'intensité dramatique d'une exécution porteuse de tensions intérieures et génératrice de climats uniques bien que vaguement familiers.

Ainsi de cette dernière plage, "Electricity", dont le titre résonne, bien sûr, avec le "Sur l'électricité" interprété en piste 2 ou en ouverture de l'électrique "Tower 2", et dont la brièveté (1:08) n'empêche pas que soient citées la plupart des occurrences évoquées plus haut : rythme très marqué dont se dégage pourtant la ligne d'une mélodie en filigrane, extension vibratile de la résonance, block chords pourchassant l'harmonie, blue notes tendues à l'extrême, au-delà d'une justesse que Marc Ducret, toujours paradoxal, préfère dynamiter en douceur, d'un revers de la main cueilli à fleur de nerf…

 

* Renseignements pris, le "Tower 3" serait en route... Allez comprendre !