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Derviche (Brochard & Favriou) - Murs Absurdes

Joël Pagier, Revue & Corrigée

 

C'est au cours de l'Eté 2020 qu'est apparu un objet musical assez peu identifiable piloté par le bassiste Eric Brochard et le batteur Fabrice Favriou, une sorte de doom rock hypnotique joué au premier degré comme on fonce dans un mur, si absurde soit-il. La chose s'intitulait Derviche et, de fait, elle n'a guère cessé depuis de tourner sur nos platines. Imaginez donc notre impatience lorsque nous avons appris, un an et demi plus tard, la sortie du deuxième album de ce duo branché sur le secteur ! 

"Murs absurdes" se compose de cinq "séquences" numérotées de VI à X, preuve s'il en est qu'il s'agit bien d'une suite au premier enregistrement, mais cette fois les plages forment un ensemble compact animé d'une dynamique évolutive où chaque mouvement participe à l'élaboration d'une cérémonie païenne orientée vers la transe. Le son lui-même s'est clarifié. L'acier scintille sur les cordes neuves, se charge de mediums et d'aigus dont les effets électroniques intensifient encore la brillance. La tension des peaux sur les fûts semble renvoyer l'écho de ces vibrations métalliques jusqu'au fond des amplis pour un voyage aller-retour dont la répétition donne le tournis. Cela va vite aussi ! La sécheresse des baguettes martelant la caisse-claire et leur course effrénée sur le cuivre des cymbales talonnent l'impatience de la basse et la promptitude de sa fuite en avant, au point que les notes à foison finissent par se confondre en un seul et même grondement. C'est dans le vertige et sa résolution par la chute que s'impose l'évidence, dans le silence que se diluent le bruit et la fureur et dans la fixité que se dissout l'urgence. 

Si la folle équipée de ces deux cascadeurs ne les envoie pas directement dans le décor, ils le doivent sans doute à la précision de leurs structures et à une certaine sophistication dans leurs modes de composition. Nous sommes bien loin ici de l'interprétation figée d'un texte inamovible, mais on ne saurait douter d'une écriture préalable fondée au minimum sur des cellules rythmiques et certains principes de jeu. Fabrice Favriou développe notamment des figures dont l'apparente simplicité ne doit pas nous tromper et qui induisent une forme d'improvisation à venir assez inéluctable. De même, Eric Brochard peut sans conteste déployer l'intelligence et la virtuosité de ses variations parce qu'elles contiennent en germe toutes leurs déclinaisons possibles. 

Quoi qu'il en soit et notre curiosité assouvie, le bonheur à l'écoute de cet album attendu en raison de ses inévitables surprises à venir demeure intact et, plus encore, la satisfaction de l'auditeur flatté de se voir l'objet de tant d'attention et de volonté créatrice. Nul doute que ces "Murs absurdes" se dressent actuellement aux frontières gangrenées par la peste brune, mais tant qu'il y aura des musiciens de ce calibre, capables de revendiquer une certaine honnêteté intellectuelle, rien ne sera vraiment perdu.