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Charles Gayle Trio - Live at Glenn Miller Café

Frank Steiger, JazzHot

Charles Gayle est l'un des saxophonistes qui perpétue l'héritage du grand free jazz des années soixante (celui qui est toujours resté connecté à la tradition afro-américaine) de la manière la plus convaincante. Ce nouvel album présente un set en trio dans lequel il donne une place importante à des standards du jazz survolant ses différentes époques.

On commence par un "Cherokee" difficilement reconnaissable, mais servant de point de départ à une déferlante d'énergie de la part des trois musiciens. On en ressortirait assez rapidement lessivé, mais au bout de six minutes, la tension diminue de quelques crans avec "Softly As in a Morning Sunrise" ; en tout cas le ton est donné.

Ce deuxième thème permet ainsi de mieux apprécier le superbe son du saxophone, à la fois plein et fragile, maîtrisé et pourtant semblant s'échapper à tout instant. L'ambiance est différente et une walking bass s'installe et restera pour une très grande partie de l'album, alors que la batterie est plus là pour ponctuer le discours du leader. Malgré l'aspect souvent très déstructuré de la musique, le trio présente ainsi une réelle unité permettant d'éviter l'ennui généré par l'un des travers fréquents de cette musique qu'est l'impression que chaque musicien joue pour lui-même. Ce second thème n'est jamais exposé dans son intégralité à la suite car le saxophoniste parvient parfaitement à faire rentrer les standards dans son esthétique ; ce qui justifie pleinement le recours à ce matériau.

A cet égard, le "What's New" est un petit chef-d'œuvre, car si d'une manière générale l'expression est à vif, au point de se faire elle-même tranchante, elle trouve sur cette ballade son versant lyrique. Le jeu de Charles Gayle en fait ressortir le caractère poignant comme d'autres interprètes illustreraient le blues, la nostalgie ou le romantisme qu'elle contient ; et c'est bien dans ces orientations multiples en fonction de la personnalité du musicien que réside la magie du jazz. De la même manière, son "Giant Steps" montre une plus grande attention accordée à la mélodie que sur beaucoup d'autres versions se focalisant sur ses accords.

On retrouve dans les compositions originales de fortes teintes de la dimension plus spirituelle du free jazz et ainsi " Holy Redemption " enchaîne dans la même veine que le "What's New", mais dans un crescendo qui va exacerber l'expressivité pour se terminer sur une relecture du "Ghosts" d'Albert Ayler, sans doute le musicien dont on entend le plus l'influence chez Charles Gayle.

Un morceau avec un groove ou un swing plus affirmé (comme on peut en entendre dans d'autres prestations du saxophoniste) aurait bien trouvé sa place dans cet enregistrement et aurait permis au plus grand nombre de rentrer dans cette musique pas toujours facile. La caractéristique principale du point de vue musical du free, qui n'est pas la liberté mais l'abstraction, se trouve présente dans cette musique sous la forme du sous-entendu. Il est présent ici d'une part dans l'exagération, le déferlement de la batterie et de la contrebasse sur "Cherokee" ou sur "Praising the Lord" repose sur un swing sous-entendu. On le retrouve d'autre part sous forme de rétention avec "Softly As in a Morning Sunrise" dont ne sont gardées que les notes significatives du thème, mais dont la mélodie est déjà sous-entendue dans l'improvisation avant même qu'elle ne soit exposée.