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Sarah Murcia - Never Mind the Future

Franpi Barriaux, CitizenJazz *ELU*

Quelques notes en giboulées qui s’échappent de la main droite de Benoît Delbecq suffisent à s’en persuader : nous voilà transporté dans un univers parallèle, sans passer par l’accélérateur de particules… A moins que sa puissance ne se concentre entièrement dans la batterie pointilliste de Franck Vaillant. L’atmosphère nous est connue, à l’instar de la mélodie. Mais elle est différente. Passée par la moulinette d’uchronies parfaites et de fantasmes assumés. La machine infernale à remonter le temps est formelle : 1977, Here’s The Sex Pistols. Métamorphosé par la malice du "Caroline" de Sarah Murcia, Never Mind The Bollocks devient Never Mind The Future ; changement de paradigme, mais pas d’ambition : il s’agit toujours de dynamiter l’instant, peu importe que l’album ait des allures cubistes et que les morceaux soient éparpillés façon puzzle. Des claviers électroniques rauques jusqu’à cette contrebasse inimitable qui fait de chaque mélodie une ligne claire et pleine d’émotion, tout donne à l’étendard punk une profondeur débarrassée des postures et des provocations. Elle garde cependant la violence élégante et émaciée d’un trait inflexible.

Ainsi, sur « Pretty Vacant », la guitare pleine d’acide de Gilles Coronado écorche l’opiniâtre déconstruction de Delbecq et Vaillant, avant que la belle voix de Murcia doublée par le chanteur Mark Tompkins redonnent à cette chanson une sauvagerie intrinsèque, furieusement poétique. Dans cet exercice de style, on retrouve ce goût pour les musiciens de Caroline pour les chansons rock comme autant de terrains de jeu. On se souvient de ces reprises remplies du prénom Caroline où Zappa croisait les Kaiser Chiefs. Avec Tompkins, Sarah Murcia a également proposé il y a quelques années sur Arte une visite des scies des eighties, et notamment un « 99 Luftballons » à lézarder les murs qui avait ce même charme doucement goguenard. Délicieusement punk, en un mot, à l’image de cet « Anarchy in The UK » acidulé où la contrebasse fait merveille.

Au delà de toutes considérations, Never Mind The Future pose une question pertinente. Qu’est-ce que le punk aujourd’hui ? Sont-ce les attitudes, ou bien les brisures du saxophone d’Olivier Py qui déchirent l’hymne « God Save The Queen » dans le riff mutant de Coronado ? N’y a-t-il d’ailleurs qu’une réponse ? Poser la problématique, c’est déjà y répondre… Le travail de Caroline présente indubitablement le disque des Pistols sous un jour nouveau, révélant une certaine poésie et une intransigeance politique (« Bodies ») et s’inscrivant dans une continuité temporelle dans l’histoire de la musique populaire. Au long de l’album, on a la sensation que Caroline réconcilie en un instant Soho et Canterbury. Mais étaient-ils fâchés ? Pas dans nos discothèques de dynamiteurs d’étiquettes en tout cas, et sûrement pas dans l’étrange « EMI » qui révèle des trésors d’inventivité et de finesse. Ce n’est guère étonnant dès lors de trouver Never Mind The Future sur le label Ayler Records, qui s’est assigné la tâche d’abolir à grands coups de cœur, coqué comme un soulier du bon Docteur Martens, toute forme de conservatisme ; de Machaut à Rotten, la ligne est tenue droite. Ce disque est un plaisir à partager à plein volume. We like noise, it’s a choice…