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Lazro/Cappozzo/Lasserre - Garden(s)

Anne Yven, CitizenJazz *ELU*

Il y a parfois des mondes entre les jardins secrets et les jardins publics. Pourtant certains artistes les franchissent allègrement sans rien détruire sur leur passage ; au contraire ils en subliment les bordures, étapes intermédiaires pour passer des uns aux autres. Avec ces interprétations enlevées et respectueuses de compositions signées Ellington, Coltrane et Ayler, entrecoupées de compositions personnelles inédites et d’impros convoquées dans l’instant, par alchimie, c’est un peu la balade que propose ce Garden(s), enregistré chez Jean-Luc Cappozzo en 2016. Il paraît un an plus tard sur le label toujours vert (car respectueux de la nature des êtres) Ayler Records. Le trio presque inédit (ils ont déjà enregistré ensemble mais dans d’autres configurations et associations) constitué de Daunik Lazro aux sax baryton et ténor, Cappozzo à la trompette et au bugle et Didier Lasserre aux baguettes magiques et cymbales, reprend à sa manière et sans chichi des airs qui appartiennent au patrimoine de la musique jazz teintée de blues.

La « Sophisticated Lady » qui ouvre le disque arbore de nouvelles parures dotées d’un velouté unique, à la fois rond et zébré, que seul Lazro sait arracher aux graves tessitures du baryton. Fouaillée avec entrain par le roulement frénétique du batteur qui semble l’encourager, la dame âgée de 80 ans (puisque composée par Ellington au début des années 1930), surgit même impétueuse de la trompette de Cappozzo qui, charmé, fait redécouvrir ce classique.

C’est que ce disque, qui s’écoute en toute saison et par tous les temps, est doté d’une force et d’un potentiel de renaissance infinis. Il suffit, pour s’en assurer, d’entendre « Joy Spirit », composition signée Cappozzo d’une beauté impertinente. Sa mélodie, sa vivacité, son flot de paroles semblent intarissables. Et encore une fois, les voix des deux autres instruments s’y conforment sans aucun heurt. Des centaines d’écoutes de la version de « Lonnie’s Lament » signée Lazro n’auront jamais raison du frisson qui s’empare de vous lorsque la trompette surgit en contrepoint au saxophone, à 2 minutes 25.

C’est une démonstration de liberté de ton et de politesse mêlées qui caractérise les plages « libres » du disque, nommées « Gardens (1, 2 et 3) ». Elles forment des instants suspendus faits d’écoute et de méditation partagée, identifiables parfois pour l’auditeur par un simple bourdon ou la résonance d’une cymbale frottée qui flotte haut dans l’air, comme miraculeusement au niveau des tympans. Il n’est pas un son qui ne relève le niveau, ou qui soit en trop. Suspense, tension, allégresse, curiosité sonore, surgissement et synchronisme : si l’on se penche bien on constate que tout est à sa juste place. Comme la nature lorsqu’on ne la contraint pas, mais aussi comme le dernier morceau du disque, « Hop Head », relecture tout en pleins et en déliés de la bondissante mélodie d’Ellington. L’auditeur ragaillardi par une écoute si riche n’a plus de besoin à assouvir mais une envie, une seule : s’ouvrir au monde.