home » cd catalogue » Akchoté/Foussat/Turner - Acid Rain » Joël Pagier, ImproJazz

Akchoté/Foussat/Turner - Acid Rain

Joël Pagier, ImproJazz

Il y a des trios comme celui-ci dont on se demande pourquoi on n'y a pas pensé plus tôt. L'approche unique de Noël Akchoté, les mondes intérieurs de Jean-Marc Foussat, le rythme périphérique de Roger Turner, tout cela cliquetant et s'articulant avec l'évidence d'une syntaxe émergente, s'installent aussi confortablement dans notre oreille qu'un oiseau épuisé rejoint un nid familier. Pourtant, n'allez pas croire qu'on se repose ici ! Le trio prend le temps d'amonceler ses nuages menaçants mais, une fois la condensation effectuée, quand l'électricité traverse l'espace et brise le silence, poursuivie par l'orage des toms et les digressions affolées du synthé, la pluie sonore qui s'ensuit recèle bel et bien cette acidité annoncée en exergue. Point de minimalisme conceptuel dans ces échanges immédiats motivés par le principe de plaisir ! L'urgence y est aussi palpable que la tension de l'écoute et la nervosité de la réponse. "Acid Rain" n'est sans doute pas une engueulade entre potes, mais la conversation n'en est pas moins animée pour autant.

De la présence et de l'énergie, donc, mais également cette maîtrise de la durée grâce à laquelle il nous est permis de respirer. Les architectes paysagistes de ce jardin aux allures de forêt vierge ont suffisamment d'expérience pour ne pas céder à la facilité du trop plein. Et les clairières qu'ils on su aménager pour nous permettre, parfois, de contempler un coin de ciel ne sont pas rares. Il faut peut-être quand même se souvenir de qui on a à faire ! Noël Akchoté fait partie de ces inventeurs forcenés pour lesquels il n'est pas de création sans révolution, même mineure. Si on le connaît comme guitariste, il joue surtout de l'électricité, cette matière qui n'en est pas une puisqu'elle n'existe que dans son propre mouvement. Aussi est-il parfaitement incapable de stagner ou, simplement, de maintenir la musique au niveau où il l'a déjà emmenée. Le son, entre ses doigts, n'est qu'une substance dont il suit l'évolution, quitte à infléchir sa destination pour la conduire en des lieux inconnus, mais qu'il rêve de découvrir. Et cela file, se froisse, éclate soudain puis se résorbe pour mieux renaître aussitôt dans un ailleurs que l'on se presse de rejoindre. Jean-Marc Foussat, de son côté, a tant écouté le monde pour mieux l'apprivoiser, en capter les vibrations et les recueillir dans le ventre de ses machines, tant usé ses yeux sur la beauté de ces œuvres plastiques dont il enseigna un temps les secrets, qu'il a fini par nourrir un imaginaire particulier, dense et composite, puisant également dans l'héritage artistique et dans l'observation du concret. C'est la raison pour laquelle on entend ici des paysages tenant successivement de Philip K. Dick et de Jean-Jacques Rousseau, la rusticité détournée d'un harmonica et l'insondable écho de couloirs intersidéraux. Quant à Roger Turner, il a tout simplement imaginé une autre percussion qui noie l'évidence d'un tempo inamovible sous la profusion d'accidents volontaires. Dans cet idiome que finit par devenir la musique non-idiomatique, la polyrythmie de l'Anglais impose définitivement sa marque insaisissable comme le manifeste d'une probable synthèse entre la dissémination extensive d'un Paul Lytton et la frappe inflexible d'un Tony Oxley. Une autre respiration, en quelque sorte, pressée mais sereine, paradoxe vivant de certitude et de poésie.

"Acid Rain" est un petit chef d'œuvre de complexité abordable. L'intelligence fuse au moindre détour de ses circuits saturés d'idées et de complicité, de réflexes immédiats et de mémoire sensorielle. Et pourtant, on y parle un langage directement perceptible car parfaitement articulé, fondé sur un lexique éprouvé, mais traduisant les impulsions sensibles de trois corps organiques maîtrisant à la perfection les outils dont ils se sont dotés.